6.11.23

Un trou noir en Palestine




Il n’est pas aisé de s’exprimer sur la dernière guerre à Gaza.

Certes, Israël a perdu beaucoup de sympathie internationale à cause de sa politique de répression et d’apartheid dans les territoires palestiniens qu’il occupe en toute impunité. Mais malgré la tentation de voir cette nouvelle déflagration comme celle d’un David enregistrant des points contre Goliath, nul ne devrait se réjouir d’attaques et de kidnappings contre des civils innocents. Nous devrions tous appeler à épargner les populations et libérer les otages quelles que soient leurs origines. Nous devrions surtout supplier les leaders de ce monde de privilégier de nouveau le travail long et fastidieux pour trouver la paix au Proche-Orient et le remettre devant la fébrilité mercantile qui domine les efforts diplomatiques actuels.

La victoire psychologique qu’enregistre le Hamas s’explique par deux facteurs : le soutien de l’Iran devant les monarchies du Golfe qui ont abandonné les Palestiniens, et la politique du gouvernement israélien d’extrême droite qui ne fait qu’attiser la haine et la colère. On ne peut rester insensible devant les affres de la colonisation en Cisjordanie et devant ce qui se passe dans cette prison à ciel ouvert qu’on appelle Gaza, sous blocus, bombardée et détruite de multiples fois sans vergogne depuis des décennies. Dans ce contexte, on en appelle à M. Biden et à tous les autres dirigeants : un peu moins de corridors économiques et d’hydrocarbures, et un peu plus de justice et de droits de l’homme nous feraient le plus grand bien.

En conclusion, c’est surtout la déshumanisation de l’autre qui gagne du terrain et les valeurs de respect et de fraternité qui reculent encore un coup dans ce véritable trou noir qu’est devenue la Palestine, mille fois détruite, dépossédée, opprimée ou trahie par ses faux frères. La population qu’elle soit israélienne ou palestinienne y est désormais livrée à ses pires démons. Les perdants ? Les quelques modérés qui veulent encore la paix à Ramallah, Tel-Aviv ou ailleurs. Ils se faisaient déjà bien rares et ont perdu ici-même une nouvelle bataille contre la haine et la sédition.

Une seule recette pour le Liban

 Mon dernier voyage au Liban m’a inspiré ces questions. 

Comment expliquer à certains membres aguerris des communautés chrétiennes que leur combat n’est pas un combat religieux, que leur rêve d’un Liban moderne, ouvert sur le monde et respectueux des libertés est un projet civilisationnel et non pas sectaire. Qu’il ne sera pas rendu possible par une sécession ni par un système fédéral. Qu’il n’existera que lorsqu’ils y travailleront avec toutes les élites du pays quelles que soient leurs origines communautaires, chrétiennes, musulmanes, juives ou agnostiques. Et quand d’aucuns s’égarent dans leurs peurs existentielles et islamophobes, j’ai envie de leur rappeler que si on veut vraiment parler de religion, le message de Jésus est le contraire de ce que prêchent les partis « chrétiens ». C’est un message de pardon, d’amour et d’acceptation de l’autre dans sa différence (le bon Samaritain). « Aimer son prochain comme soi-même », envers et contre tout ! Tout comme par ailleurs, l’islam prescrit « d’aimer pour son frère ce qu’on aime pour soi-même » … Ce sont là des messages très éloignés des appels chimériques à la partition et au repli sur soi. 

Comment aussi convaincre la population envoûtée par le Hezbollah que la solution pour développer le Liban ne viendra jamais de l’Est. Que la nécessité de se défendre contre l’impérialisme ne devrait pas nous faire oublier la supériorité civilisationnelle du modèle démocratique occidental. Que la prospérité et la liberté ne viendront pas de l’Iran, de Russie ou de Syrie dans leurs états actuels. Dans ces autocraties en déroute, nous ne trouverons ni universités, ni avancées médicales, ni mode de vie enviable. Rien de bon ne sortira d’États obscurantistes qui peinent eux-mêmes à gérer leurs populations opprimées. Ces autoproclamés « défenseurs contre Israël » seront les premiers à nous lâcher si leurs intérêts les y poussent. L’histoire l’a déjà prouvé.

Et enfin, comment faire pour que cette recette pourtant si évidente puisse s’imposer à tous : celle d’un Liban apaisé, ouvert, neutre, tolérant de toutes les croyances, mais laïc dans ses lois, et surtout à égale distance des puissances impérialistes et des dictatures orientales. Collaborer avec tous sans s’assujettir à quiconque, défendre fidèlement et aimer son concitoyen si différent soit-il, le voilà l’unique chemin possible pour un pays comme le nôtre. 


Comment expliquer à Basil qu’il a perdu

 Dans cette élection présidentielle en panne, il n’a pas le soutien de son puissant allié et se retrouve poignardé dans le dos par le Hezbollah malgré les nombreux services qu’il lui a rendus. Rien d’étonnant d’ailleurs, le CPL est devenu un allié encombrant. Ce parti ingérable, assoiffé de pouvoir au point d’aider à bloquer l’économie libanaise et le centre-ville en 2006, empêcher des formations de gouvernement pour accaparer les ministères lucratifs, entraver toute élection présidentielle qui ne lui profite pas et interdire une enquête internationale sur l’explosion au port pour protéger ses intérêts, accumule les écarts et les ennemis. Son absence de talent diplomatique, son incapacité à travailler avec qui que ce soit – à part peut-être Victor Orban –, son arrogance qui n’a d’égale que son inconstance ont fini par lasser. Sans compter son antipathique recours récurrent au confessionnalisme, sa haine populiste des réfugiés syriens qu’il accuse de tous les maux et ses diatribes égocentriques à répétition qui consternent beaucoup de Libanais toutes obédiences confondues.

L’alliance de la carpe et du lapin entre le CPL et le Hezbollah ne tient donc plus qu’à un mince filet symbolique qu’aucune des deux parties ne veut couper par manque d’alternatives. D’un côté, le mépris narquois de Nasrallah, de l’autre, les gesticulations infructueuses de M. Bassil. Le résultat : le pays est plus bloqué que jamais, tant que Gebran Bassil n’aura pas admis qu’il a perdu la partie. Bien sûr, il préfère continuer à paralyser la nation et saper une institution présidentielle et une Constitution déjà à genoux, tout cela plutôt que de s’avouer vaincu.

Au lieu de rester au Parlement, proposer des noms et voter pour un candidat de leur choix et accepter une possible défaite par manque d’alliés, les députés CPL votent blanc pour ne pas perdre puis se retirent lâchement avec leurs faux amis pour déclencher un défaut de quorum, leur marque de fabrique. Pauvre Liban, tombé si bas dans les griffes de bien mauvais joueurs. 


Nommons un candidat du Changement

 L’arrestation scandaleuse puis la libération de William Noun, le frère d’une des victimes de l’explosion au port, en est un énième signe. La classe politique sectaire et corrompue qui garde le Liban en otage n’a aucune vision pour sauver le pays, et encore moins d’intentions de restaurer un semblant d’État de droit. 

La balle reste plus que jamais dans le camp de la thaoura et des champions du changement. Bien sûr, on applaudit nos députés indépendants, leurs alliés du Bloc national et tous ceux qui ont soutenu M. Noun. On se félicite de les voir aux côtés des Libanais à chaque échéance. Mais je veux les appeler à nouveau à nommer un véritable candidat du changement à l’élection présidentielle. 

Ce candidat ne gagnera sans doute pas, mais il peut au moins représenter une troisième voie et communiquer clairement nos idées à tous les Libanais. Dans toute démocratie évoluée, les mouvements même minoritaires nomment un candidat pour exprimer leur agenda et concrétiser leurs aspirations. Les douze députés pourraient même tenir une élection pour choisir ce porte-parole. Il leur manque peut-être des candidats sérieux motivés pour ce faire, mais je suis convaincu qu’en trouver un n’est pas impossible.

Devant les Libanais de tout bord, il est essentiel d’incarner le changement et continuer à l’expliquer dans des discours clairs. C’est tout aussi important de montrer aux puissances étrangères que les Libanais peuvent pour une fois choisir des représentants non imposés par la géopolitique internationale. Au lieu d’appeler les ambassades à nommer leur poulain, essayons de les surprendre pour une fois. 

À l’heure où le pays sombre, je supplie nos députés de trouver des compromis, mettre leurs ego de côté et choisir ce messager. Mark, Najate, Ibrahim, Halimé, Paula, Cynthia, Firas, Élias, Michel, Yassine, Melhem et Wadda, ainsi que vos alliés, nous comptons sur vous. 


Spectacle Afffligeant

 Le spectacle affligeant des attaques récentes contre notre fragile communauté LGBTQ+ en est un énième signe. Le pays se meurt d’une absence de leadership éclairé capable de montrer la voie. 

Et contrairement à ce que certaines élites ressassent, notre mal est bien plus ancien et profond que les armes du Hezbollah. Preuve en est, les discours et actions obscurantistes fusent à l’unisson des deux côtés de l’infâme ligne de démarcation confessionnelle. Après les discours arriérés du parti intégriste, nous sommes tout autant agressés par les inepties d’un ministre sans culture, les gesticulations de leaders religieux qui ont oublié leurs textes puis, pour couronner le tout, la violence lâche d’un groupuscule soi-disant chrétien qui ne sait montrer ses muscles que pour attaquer des artistes sans défense.

La division confessionnelle continue ses ravages. Il n’y a pas de président de la République, et le silence des deux hommes censés diriger le pays et protéger les citoyens est tout aussi consternant que le bruit de l’hélicoptère inutile qui les transporte vers nos plateformes gazières, ultimes châteaux en Espagne d’un pays en faillite morale et financière. 

Notre seul espoir est de rejeter les partis traditionnels et sectaires. Et choisir un leadership laïc. Encourager nos prêtres et nos imams à s’occuper de spiritualité et de tolérance, et cesser de vouloir imposer leurs vues et juger. Soutenir les hommes et les femmes qui osent s’opposer au statu quo et réclamer la liberté de conscience et de croyance, un concept si souvent oublié dans ce Levant en perdition. Pardonner à ces nouveaux leaders du changement leurs imperfections et menues querelles et espérer qu’ils gagnent du terrain contre l’arriération et le fanatisme. Notre route est longue et semée d’embûches. Mais c’est la seule route.