27.10.19

La naissance d’une Nation?

 Il est impossible en tant que Libanais de rester insensible à la révolution qui s’est soudainement emparée du pays.

Je n’ai vécu que les quatorze première années de ma vie au Liban et quand on voit son pays de loin,  les fléaux dont il souffre sont évidents. Le système confessionnel en est le premier, par son incapacité structurelle à enfanter de vrais leaders légitimes :  on ne gouverne que par consensus ou concupiscence. Le deuxième qui en découle logiquement : un pays néoféodal fait de caïds pourris et leurs proches vassaux qui se partagent le pouvoir au dépens de la majorité des citoyens. Le troisième fléau, le manque total d’esprit civique, l’absence cruelle du sens de l’intérêt général et du respect des lois, menant à une corruption devenue presque normale, une destruction accélérée de l’environnement et des infrastructures qui nous font honte. 

Les Libanais (au piège de ce système qui est le seul qu’ils connaissent) avaient pourtant voté une fois de plus et à 90% pour cette classe politique il y a seulement deux ans. Seuls un ou deux députés issus de la société civile avaient réussi à décrocher un strapontin  dans un parlement gangréné par les chefs de partis  habituels ou pis encore, leurs fils ineptes ou beaux fils véreux. Aux municipales où une liste civile avait courageusement tenté de changer les choses, une alliance féodale de dernière minute couplée d’achats de voix à la pelle avait rétabli au pouvoir une bande d’incapables qui se détestent entre eux et ne font rien ou presque pour la capitale. 

Ces déceptions avaient de quoi me faire regretter un peu de ne pas avoir été là pour voter mais surtout me réjouir de ne plus vivre dans mon pays natal gâché, abîmé par ses seigneurs égoïstes et leur populace docile. A chaque retour, je souffrais à la vue de ma petite patrie  qui s’effondre, ses montagnes vertes vérolées par le ciment et les carrières sauvages, sa mer bleue souillée par des égouts à l’abandon, ses rues jadis belles où les dernières villas du XIXeme sont détruites et remplacées par des tours d’une laideur ahurissante. Je pensais que c’était bien fini, ce petit rêve levantin, cette civilisation tombée sur l’autel des divisions et des fanatismes.

Mais aujourd’hui, comme par miracle, les Libanais se sont enfin réveillés. Ils ont enfin compris qu’on leur ment et qu’on les vole. Il leur a fallu 76 ans Pour comprendre qu’on utilise leurs peurs comme une drogue pour les parasiter. Ils ont démasqué leurs propres seigneurs qui promettent de protéger chaque  communauté pendant qu’ils vident impunément les caisses publiques et que le pays s’effondre. Et il est enivrant  ce sentiment que les chrétiens n’en peuvent plus d’avoir peur des musulmans alors que leurs chefs les ont éduqué à en être terrifiés et de s’accrocher au système communautaire qui les protège. Elles sont belles ces images de Tyr où les chiites n’en peuvent plus de ce speaker à la tête de la chambre depuis 30 ans et dont l’épouse a accumulé plusieurs milliards d’argent public ou même de ce barbu qui a certes tenu tête à Israël mais qui les entraîne depuis dans des guerres en Syrie qui ne sont pas les leurs. Les sunnites en ont assez de leurs voleurs et de ces haines sectaires fabriquées. Les athées ou agnostiques peuvent aussi sortir dans la rue sans se sentir marginaux. L’abolition du système sectaire  n’est plus une lubie de communiste, elle est devenue un slogan qui réunit.

Qu’il est bon de faire la fête ensemble dans la rue avec ce drapeau oublié qui nous réunit. On y offre les mêmes douceurs et on y danse sur le son des mêmes DJ. Ces mains qui s’entremêlent, ces voix à l’unisson, c’est la naissance d’une nation, aussi tardive, émouvante qu’inespérée.