3.9.13

Impression newyorkaise 6: anniversaire

Un an déjà à New York.

Il y a une sensation de soulagement, presque de confort retrouvé. "We made it", nous nous en sommes sortis. Une année de tourmente et de tourbillons, une année où Manhattan vous teste, met votre corps et votre esprit à rude épreuve. Mais ne vous méprenez pas, cela ne se réduit pas à un bizutage, c'est plutôt un apprentissage rapide, sévère, soutenu mais qui donne satisfaction même si on ne peut en ralentir le rythme. Quand je relis mes cinq impressions, j'y revois ce parcours d'obstacles et de réussites, non sans un sourire.


Enfin, on réussit à voir le monde qui se cache derrière ce port, ce hinterland américain immense et riche, on se rend compte que New York n'est pas le centre de l'Amérique mais son port d'attache, sa porte d'entrée, son goulot chaotique. Enfin, je trouve le temps d'une escapade à Brooklyn, le plaisir d'un concert insolite sur une barge amarrée avec vue; un trombonne et une clarinette y chantent peut-être pour moi un air d'apaisement et de sérénité.


Puis ce matin, je pose trois dollars dans la gamelle du joueur d'alto avant de sauter dans mon train, je le prends en photo, spectacle d'un New York plus charmant, plus doux.

L'avantage surtout est qu'un an après son arrivée, on se sent résolument newyorkais légitime. Certes, on ignore encore beaucoup des secrets infinis de la cité mais on a le sentiment d'en connaitre déjà beaucoup. Et malgré l'énergie et la fatigue, on sait surtout qu'on est capable de survivre, y faire face, voire y trouver du plaisir.

7.7.13

Magnifique Gatsby

Magnifique Gatsby.

La critique sévère de ce film ne lui rend pas justice. Il y a bien plus dans Gatsby de Baz Luhrman que de merveilleux costumes, somptueuses maisons et soirées mirifiques.

Il y a d'abord la magie du roman de Scott Fitzgerald fidèlement interprété. Le jeu de qualité de Carey Mulligan en Daisy superficielle et légère, au bonheur futile et à la faiblesse patente ainsi que la belle performance de Tobey Maguire, le voisin de Gatsby, attachant et bienveillant mais qui manque parfois un peu d'aspérité. Sans doute est- ce pour mieux s'effacer devant Leonardo di Caprio, magique Gatsby, crédible, charmeur, tantôt fougueux tantôt rêveur, mais enfin si fragile. Il y a les décors somptueux d'une époque euphorique, fantasmée à souhait, une bande originale époustouflante, endiablée et incessante... au risque parfois de résonner disco et pas très entre-deux-guerres.

J'avais lu ce roman il y a des années et en avais gardé un souvenir doux mais confus, presque flou. Voir ce film me fit découvrir cette histoire touchante qui brouille les codes habituels et nous dit que l'amour le plus pur et la bonté la plus grande se cachent parfois derrière des murs de paillettes et d'apparente corruption. Peut-être que regarder ce film glorifiant le New York et Long Island des années 20 quand on habite là en 2013 a-t-il aussi contribué à mon enthousiasme, voire à un certain tropisme nostalgique de la Nouvelle Angleterre. Voilà comment j'enchaînai aujourd'hui en m'achetant un costume clair à rayures, à la grande déconvenue de mon épouse...

2.7.13

Impression newyorkaise 5: Premier été à Manhattan

L’été s’est emparé de New York.


C’est une chaleur lourde, moite, pesante. D’innombrables unités de climatisation (peut-être est-ce leur plus haute densité au monde?) se sont mises a vrombir, constamment, sourdement. Manhattan, la grande baleine en surchauffe n’en finit plus de suer et ronronner, de sentir fort et de se faire doucher plusieurs heures par jour d’une grosse pluie fugace mais quelque part rafraichissante.

Et les pauvres cadres comme moi, vestes à la main, cravates nouées puis vite dénouées, nous frayons notre passage au travers d'une foule de touristes en shorts, de badauds au torse nu, d'ouvriers en marcel qui se pavanent sans arrêt dans la ville fumante. Un peu comme tous les étés, on se sent un peu plus en vacances même quand on travaille, on boit davantage et on mange moins et on parle de weekends et de voyage.

Mais on observe aussi ceux qui partent vraiment. Chaque été New York renouvelle une bonne partie de sa population comme si elle rechargeait ses batteries. On les aide à déménager, on fait les pots d’adieu, on souhaite bonne chance aux futurs ex-Newyorkais. Ils sont souvent moroses de quitter cette hyper-ville, étourdis, enivrés par sa force. Puis on accueille les nouveaux, comme nous il y a presque un an déjà, fraichement arrivés, déboussolés et horrifiés par le bruit, la foule et les redoutables agents immobiliers.

27.5.13

Impression newyorkaise 4: l'échappatoire des Hamptons


On ne connaît pas vraiment New York si on n'a pas vu les Hamptons, l'alter ego de la cité mythique, étalé au bout de Long Island à deux heures de voiture. Une belle surprise est que New York et son Deauville sont comme l'alpha et l'oméga: la métropole la plus urbaine et bruyante est flanquée d'une ribambelle balnéaire des plus sauvages et des mieux préservées. Une lande immense sans aucun immeuble, couverte de pins, de dunes, de belles maisons en bois et de plages de sable fin interminables. Dans les Hamptons, la verticalité oppressante de la ville cède la place aux horizons les plus naturels, les demeures sont cachées dans des pinèdes ou derrière des haies patriciennes, les oiseaux, le vent de l'Atlantique et ses vagues sont les seules sources de vacarme.

Le soir du long weekend de Memorial Day, les gratte-ciel de Manhattan se désemplissent telles des fourmilières évacuées à la hâte, les condos d'uptown se vident et les rues étroites sont prises par une fièvre de départ, on charge les 4x4, on fait tout pour échapper aux embouteillages. Les ponts et les tunnels reliant Manhattan et Long Island noircissent de voitures qui partent vers l'est, à l'assaut de cet anti-Manhattan avec ses villages clairsemés. Ces New Yorkais chanceux fuient leur ville folle, abandonnent leur île hypertrophiée pour se ressourcer de quelques embruns océaniques et de moultes fêtes mondaines.

Fidèle à mon habitude que j'évoquai déjà dans mes articles britanniques, je ne résistai pas à l'attrait d'une baignade même dans l'eau encore glacée de la plage de Southampton. Mon premier été Newyorkais est désormais baptisé.

29.4.13

Impression newyorkaise 3: La patrie du Process

Ces derniers mois, j'ai découvert que les Etats-Unis sont étrangement la patrie des procédures ou pour être moins franchouillard, du "Process" avec un grand P, et cela aussi bien dans ce qu'il a de plus frustrant que dans son efficacité méthodique.


C'est un pays génial quand vous êtes justement bien calé dans le "Process". Tout fonctionne à merveille, c'est rapide, simple et efficace. Comme pour moi l'autre jour ou je repassais mon code de la route comme l'exige l'Etat de New York. J'avais les documents demandés, mon nom et prénom n'ont ni accent ni particule et apparaissent identiques que ce soit sur mon passeport ou sur mes justificatifs... Tout se passe alors comme sur des chapeaux de roues. Expédié en une heure montre en main.

Mais essayez de sortir ne seule fois de la norme et vous voilà dans le pétrin. Tout s'arrête, s'enraye. On vous isole, on vous scrutinise et soupçonne. On n'aime pas ceux qui ne s'alignent pas sur les normes. En Amérique, les règles sont les règles et s'en démarquer n'est jamais bien vu. Il n'y a aucune subjectivité dans tout cela, au contraire. Il s'agit juste d'un respect scrupuleux, voire obsessionnel. Depuis qu'Ellis Island accueillait ou rejetait des millions d'immigrés, c'est un pays où il fait juste bon d'être sans histoires. Pour ne pas dire sans trop d'Histoire.

29.3.13

Impression newyorkaise 2: contrastes

Cette ville surprend souvent par son insalubrité, ses friches urbaines glauques qui coexistent avec les plus opulents palaces, ses taxis frénétiques aux conduites tiers-mondisantes. Brute et brutale, étouffante puis glacée, New York est la ville extrême avec ses avenues impersonnelles qui ne semblent jamais se terminer. Mais la cité sait séduire. Uptown, downtown, chaque rue a une âme, cachée, exsangue, proprette ou déglinguée. La chaleur et les sourires des uns panse la vénalité et la froideur des autres. Les gospels endiablés de Harlem nous font oublier l'empire du profit qui règne sans conteste de l'autre côté de l'île. Une balade à Central Park sous un ciel bleu, une traversée d'un pont dévoilant cette forêt de gratte-ciels mythiques et je suis à nouveau réconcilié, tombé sous le charme de la Reine des métropoles. 

26.3.13

Impression Newyorkaise 1: nouveau né



Il n'est pas simple de raconter une arrivée aux Etats-Unis. Il faut éviter les clichés et images d'Epinal et essayer de trouver ce qu'il y a de différent ou de nouveau. C'est une expérience galvaudée et fantasmée à souhait, et celà, par les plus grands auteurs comme par les plus banals bloggeurs. Je m'y tente quand même avec quelques impressions.

Arriver aux Etrats-Unis pour vivre à New York, c'est tout d'abord redevenir un nouveau né. Il faut repasser en accéléré par tous les processus administratifs possibles et imaginables, et Dieu sait qu'ils sont nombreux aux Etats-Unis. Entre le visa qui vous déshabille toute une vie, une session à la sécurité sociale, une crise avec la banque qui vous fait plus de misères pour un chéquier qu'à un gangster sorti de prison et la nécessité absurde de repasser son permis de conduire, il nous arrive de nous demander ce que nous faisons là, perdus dans une Amérique aux apparences hostiles aux étrangers, où on nous qualifie de titres mystérieux comme celui guère flatteur de "lawful alien". Ce qui me console, c'est que tant d'autres sont passés par là, d'Ellis Island à JFK et qu'ils semblent tous heureux de faire partie de cet Empire. Et on le dit parfois, New York est une Rome moderne où se déversent les peuples venus d'ailleurs, certains deviennent citoyens, prospèrent et épousent l'Amérique, d'autres repartent, expulsés, ignorés, incapables de faire fortune et s'intégrer. 

7.1.13

Adieu au père

Il est né en plein été 1939. Mais bien loin de l'agitation d'Europe centrale, là-haut dans cette belle montagne libanaise, en cette vieille maison en pierre où mes grands-parents fuyaient les chaleurs de la côte. Cette maison enserrée de pins parasol, au bout d'un long escalier, juste entre les versants encore verts et les sommets dolomitiques du Liban, je ne la vis jamais, évaporée avec tant de souvenirs d'enfance de mon père. Je ne l'aperçus que dans de vieilles photos noir et blanc où le fils tant attendu trônait paisiblement sur un cheval à bascule, entouré de ses soeurs et de ses cousins.
C'était un Liban insouciant, tranquille sous le mandat français, encore épargné par les troubles politiques et religieux qui devaient bien vite s'en emparer.

Contrairement à mon grand-père qui avait du partir et faire fortune en Argentine, loin de l'Empire Ottoman et de sa déchéance, papa eut la chance de connaître le meilleur du Liban, les années où le pays prospéra dans une torpeur trompeuse. Il perdit son père assez tôt. J'étais encore enfant quand il me raconta un jour comment, ce triste été, mon grand-père souffrant l'envoya chercher un barbier. En revenant avec ce dernier, mon père découvrit le vieil homme mort dans son lit. Il avait approché un petit miroir de la bouche du défunt pour pouvoir constater l'absence de buée et donc de respiration. Enfant, ce stratagème m'avait ému, je trouvai mon père bien perspicace et si courageux d'approcher un mort ou le toucher. C'était sans me douter que trente ans plus tard, je serai moi-même le dernier homme à le toucher dans son cercueil, au coeur d'une église en deuil.

Je ne suis pas sûr de vouloir disserter sur son existence, de creuser le pourquoi du comment, pourquoi ce jeune premier beau et rieur à qui tout semblait sourire buta ça et là sur les obstacles de la vie. Il aimait la vie, certes. Parfois beaucoup trop. Il aimait oublier tout et s'envoler vers ses rêves. Au point parfois de se brûler les ailes. J'ai envie d'évoquer les études en Suisse avec son bon ami Pierre, leurs quatre-cents coups et leurs mille photos, sans oublier sa rencontre avec Gilbert Bécaud... Je revois défiler aussi les pistes de ski à Faraya, le vieux copain de toujours Michel et son sourire inoubliable, les vieux coupés Alfa Roméo ou les plages de Saint Simon et les criques poissonneuses d'Amchit où papa croquait la vie à pleines dents. Moins forte est l'envie de se rappeler les bouleversements, la guerre, les méfaits du tabac, les problèmes de santé et toutes les vicissitudes qui ont eu raison de son insouciance. Je préfère tout simplement le remercier de cette famille qu'il fonda avec ma mère et qui traversa ces décennies de guerre puis de paix, saine et sauve. Je préfère méditer sur cette belle photo de lui avec Eddy, un de ses vieux copains, qui nous l'apporta lui-meme le jour des funérailles. On le voit, à droite, ce sourire d'un homme qui aimait la vie.