27.7.20

Faillite morale

A l’heure où les ministres d’Occident viennent nous sermonner sur les réformes nécessaires au Liban et que des yeux incorrigibles cherchent encore la lumière d’outre-mer,  je m’évertue à répéter aux uns et aux autres que notre salut ne viendra que de nous-mêmes. Oui, la clef est bien là,  sous vos nez, cachée dans les 10452 km2 de cette petite terre. La maladie est interne et nous n’en guérirons qu’après un examen profond et un traitement ... de cheval, 

Au delà des divisions communautaires qui nous ont affaiblis depuis toujours, il y a un grand mal tout aussi grave qui s’est installé dans les craquelures du Liban. Il s’agit de la faillite morale de notre société qui a eu lieu bien avant celle de nos finances. Cette maladie était comme une drogue douce, entêtante et facile. Nous en étions presque fiers, dansant dans des soirées endiablées, servis comme des pachas par des employés de  maison, ou bien sûr au volant de voitures de luxe alors que notre pays ne produisait presque rien.

Je vous parle en effet de cette pseudo philosophie libanaise faussement sympathique du “vivre au jour le jour”, celle de croquer à pleines dents ce qu’il reste de notre pays béni des dieux par son climat, son histoire, sa cuisine et ses belles montagnes. Ce mythe galvaudé du phénix qui renaît de ses cendres nous a ainsi bercés si longtemps et autorisé tous les excès. Il 
nous a fait croire qu’on pouvait construire des hôtels de luxe sur d’anciennes décharges et bétonner tout notre littoral sans conséquence. Que notre manque de civisme était une marque de virilité ou d’ingéniosité et que les moralisateurs étaient juste des faibles. L’image des zaïms richissimes et celle des hommes d’affaires milliardaires sans raison nous ont fascinés et corrompus jusqu’à la moelle.

Mais elle était trompeuse l’ivresse de ceux qui ne construisaient aucun lendemain pour leurs enfants. La dure réalité a rattrapé ce Liban là. 
Les carrières sauvages ont rongé sa forêt. Les projets immobiliers rocambolesques ont détruit l’environnement et leurs appartements de luxe sont pourtant restés vides. Les touristes lassés de ce chaos ne sont presque plus venus. Les Libanais d’outre-mer ont recherché une mer plus propre ailleurs. La confiance dans un pays qui ne sait même plus ramasser ses ordures a naturellement chuté. Jusqu’à ce que le château de cartes s’effondre. 

Malgré la douleur de voir cette faillite morale devenue banqueroute nationale, on peut espérer qu’elle serve justement à redistribuer les cartes. Que le Libanais courageux, celui qui travaille vraiment, en triomphe.  Que celui qui cultive sa terre vende enfin ses belles récoltes. Que celles qui se battent sur place pour un pays moderne libre, laïc et civique soient enfin les héroïnes. Pas les hommes d’affaires véreux ou les chefs de guerre faillis et leurs épouses oisives. Qu’on revienne un peu sur terre et qu’on fasse le grand ménage dans cette petite maison libanaise. Ensemble.

21.7.20

Dernière saison ?

La courbe est bien plus grave que ce qu’on pouvait craindre, surtout les éternels optimistes comme moi. Aux Etats-Unis, le deuxième pic épidémique n’est pas juste un rebond, il est himalayen et terrifiant. Le décompte des contaminations quotidiennes a déjà largement dépassé le premier sommet et la courbe sinistre des décès monte implacable juste derrière, avec deux ou trois semaines de retard. 

L’ administration fédérale est passée de la guerre de l’intox et des contradictions au pur et simple déni: Après avoir lâchement délégué l’encombrante gestion de la crise aux États, on ne parle simplement plus du Covid, sauf pour critiquer la Chine et la peste qui en est venue. On se borne plutôt à faire campagne pour rester au pouvoir, contre vents et marées. On accuse les scientifiques de conspiration pour décrédibiliser leurs messages alarmants. 

Elle est là l’image lamentable de la plus puissante des démocraties travestie en mauvais show de télé réalité. Le candidat pour rester à la Maison Blanche est capable de tout, y compris sacrifier le pays sur l’autel de ses ambitions. Il est bien lointain le temps où cet homme faisait rire la galerie avec ses boutades. Il est soudain beaucoup plus tendu, la marée est bien basse et elle a dévoilé le varech nauséabond de son incompétence. Du coup, il passe à l’attaque, il tire à boulets rouges sur tous ses détracteurs, il les menace comme une hyène blessée. Il pousse même ses esbroufes jusqu’à attaquer la Chine sur ses atteintes aux droits de l’homme, lui, l’homme qui crache à longueur de journée sur les institutions et qui tourne en ridicule le droit international, il s’improvise en défenseur de contrées et de peuples lointains qu’il méprise et dont il ignore tout. 

Alors le show commence pour la première fois à battre de l’aile. Son audimat faiblit à mesure que les contaminations s’envolent. L’Amérique fière et patriotique s’inquiète, elle s’agace de sa débâcle sanitaire et économique, désormais internationalement reconnue. Alors, on ose un peu espérer que Novembre soit bien l’epilogue de cette pitoyable série. 

15.7.20

2020: Quelle année...

Quelle année !
Quelle année... à peine arrivés à sa moitié, nous avons déjà hâte qu’elle se termine ! Un virus nous a tous pris en otage, attrapés par la queue alors que rien ne semblait freiner nos courses respectives, plus folles les unes que les autres. Course au profit, course au succès, course à la croissance ou celle, plus obscure, à l’armement ou au pouvoir. 
À ce propos, heureusement que le virus ne semble pas avoir épargné le populisme. Donald Trump n’en finit plus de se ridiculiser, et avec lui l’Amérique, de cafouillage en calembour, sa démagogie de bas étage jadis dissimulée par la croissance économique est désormais dévoilée : elle est là, béante et obscène au grand jour. Bolsonaro est lui aussi malade du virus, aux sens propre et figuré alors qu’il niait presque son existence. Tout comme Boris Johnson avant lui, hospitalisé après avoir refusé fièrement de porter un masque ou de confiner l’Angleterre. Le virus nous a ironiquement rappelé le danger d’élire des bouffons par colère ou dépit. En cas de crise, on se rend compte qu’il vaut mieux un dirigeant compétent sans charisme qu’une grande gueule qui raconte n’importe quoi. 
Le virus a aussi réveillé des blessures. Je pense bien sûr à la plaie encore béante de l’esclavage ici en Amérique et la nécessité de continuer à lutter contre le racisme et les préjugés. Mais aussi à la blessure économique de cette révolution digitale où quelques brillants milliardaires pèsent insolemment plus que le PNB de certains pays, sans payer d’impôts ou presque, alors que la classe moyenne autour d’eux sombre dangereusement dans la pauvreté. La nécessité d’un retour au keynesianisme se profile. Espérons qu’il puisse sauver nos démocraties. 
Enfin, en Orient, les malheurs s’aggravent. Israël finit d’asservir les Palestiniens en leur volant le très peu de terres qui leur restent dans une impunité inégalée. La Turquie sombre dans l’obscurantisme. Puis mon pauvre Liban natal qui agonise : mal géré, endetté, corrompu et livré à ses démons, le virus est son coup de grâce. Je regardais hier cette vieille photo des années cinquante, montrant mon père trônant fièrement sur l’avant de sa première voiture dans cette montagne si belle. Emblématique d’un Levant disparu, ou d’un monde romantique dépecé par les loups. Cet Orient-là, désormais à genoux, saura-t-il un jour se ressaisir ?

12.7.20

Lettres ouvertes au Hezbollah- Lettre 3: Libérez-vous de vos démons.

Vous pourriez au contraire, avoir un sursaut patriotique. Une voix intérieure qui vous soufflerait: “On a remboursé nos dettes à l’Iran et à la Syrie, c’est le moment de nous occuper de nos propres problèmes, de notre terre et de nos enfants.”

Rêvons donc que vous puissiez renoncer au terrorisme et tourner le dos à votre passé violent de preneurs d’otage et d’assassins. Accepter que notre frontière sud ne soit plus le problème principal du Liban depuis 2006, et qu’elle ne nécessite vraiment pas des obus  iraniens pointés en permanence sur des villages israéliens. Essayer de tuer des civils innocents en Galilée ne vous avancera à rien, bien au contraire. Je ne vous demande pas de vous réconcilier avec Israël et accepter son régime d’apartheid. Je vous demande d’arrêter de servir l’Iran aveuglément. Vos enfants ont mieux à faire que jouer aux héros et mourir pour servir les ayatollahs. Même si le Liban restera solidaire avec les Palestiniens et ne signera la paix qu’en même temps qu’eux, il n’a vraiment aucun intérêt à harceler une frontière reconnue par quasiment tous les pays du monde depuis 1948 et y compris par les Palestiniens eux-mêmes. Remettez vos armes à l’armée libanaise et renforcez-la plutôt que lui faire de l’ombre.

Établissez une relation  apaisée mais distante avec la Syrie. Renouez avec les monarchies pétrolières. Émancipez vous de la tutelle de vos maîtres persans, arrêtez de gesticuler contre l’Occident. Négociez avec tous et faites-vous respecter par tous.  Le Liban est trop petit, trop fragile pour avoir plein d’ennemis. Être non-aligné dans cette région est une force, pas une défaite. 

En interne, lâchez vite vos sordides alliés. Arrêtez cette alliance avec un chef du parlement pourri et au pouvoir depuis trente ans. Faites-le arrêter et juger pour tout l’argent public qu’il a volé. Abandonnez ce président de la République sénile et son beau-fils détesté, la “couverture chrétienne” qu’ils prétendent vous donner n’est plus qu’un vulgaire épouvantail. Trouvez-vous de vrais partenaires compétents dans la société civile qui puissent gouverner un Liban neutre, ouvert et maître de lui même.


Puis enfin, et pardonnez mon insolence, renoncez à vos turbans! Ils sont pour beaucoup d’entre nous des symboles d’oppression et de théocratie. Taillez-moi un peu ces barbes-déguisement pour qu’on puisse vous montrer sans que vous fassiez peur à la planète. Ayez le courage de remettre les religions dans les temples. Comprenez enfin que le progrès et la civilisation ne sont pas une soumission à l’Occident mais juste une clé du bonheur.

Lettres ouvertes au Hezbollah - Lettre 2: Si vous ne changez rien

Vous êtes actuellement le seul parti qui ait du pouvoir dans ce pays. Et peu vous importent nos lamentations sur le Liban d’avant, désormais disparu. C’était un système qui, à tort ou à raison, paraissait injuste et défavorable à votre communauté chiite longtemps stigmatisée et démunie. Mais je veux vous rappeler que le Liban d’aujourd’hui est bien votre problème: sous votre coupe depuis des années, vous y faites la pluie et le beau temps, vous ne pouvez plus cracher dessus et vous en dédouaner. Vous ne pouvez plus être anti-système, vous êtes le système. 

Le vrai danger est que vous pourriez  continuer sur le mëme chemin  de destruction avec cette bande d’incapables à vos côtés. Finir de transformer  le beau Liban en décharge polluée et arriérée. Un pays isolé, en faillite, au ban des nations et embourbé dans ses contradictions. Vous réussiriez enfin à vous débarrasser des élites que vous méprisez. Exit le vieux Liban occidentalisé, votre Liban sera un  dominion des ayatollahs, pauvre, laid, malheureux et revendicatif. À la moindre révolte, vous lâcherez vos loups de leurs bidonvilles pour terroriser ceux qui osent encore protester. Un Liban voyou, toujours  prêt à en découdre, à s’autodétruire dans une guerre pour se reconstruire, vite et mal.

Mais sachez que vos enfants n’en seront pas plus riches ou heureux pour autant. Au contraire, les barrages hydrauliques mal construits auront pollué leur eau potable, leurs plages seront encore plus sales et bétonnées, l’air qu’ils respireront sera vicié et ils n’auront toujours pas d’infrastructures ou de transports dignes de ce nom. Ils seront encore plus  désavantagés (“mah7roumine”) que leurs aïeux avec la maigre et odieuse consolation que tous les autres se seront effondrés à leur niveau. Les belles pierres et les tuiles rouges auront définitivement fait long feu. Les autres villages seront désormais, eux aussi, construits avec des maisons en béton laides et  inachevées. Les communautés chrétiennes et les élites musulmanes se déliteront, perdant l’avantage que leurs écoles et universités occidentalisées leur conféraient. Ces établissements qui faisaient du Liban un bastion culturel dans une région obscurantiste seront morts par manque de fonds et d’élèves. Les banques que vous honnissiez car symboles de cette opulence injuste sont d’ores et déjà annihilées. Les citadins sunnites appauvris cesseront peut-être enfin de vous  prendre de haut mais l’hydre du fanatisme et de la misère se sera enracinée dans leurs quartiers. Et elle est souvent encore plus terrifiante et misérable que vos propres démons. 

Vous êtes actuellement le seul parti qui ait du pouvoir dans ce pays. Et peu vous importent nos lamentations sur le Liban d’avant, désormais disparu. C’était un système qui, à tort ou à raison, paraissait injuste et défavorable à votre communauté chiite longtemps stigmatisée et démunie. Mais je veux vous rappeler que le Liban d’aujourd’hui est bien votre problème: sous votre coupe depuis des années, vous y faites la pluie et le beau temps, vous ne pouvez plus cracher dessus et vous en dédouaner. Vous ne pouvez plus être anti-système, vous êtes le système. 

Le vrai danger est que vous pourriez  continuer sur le mëme chemin  de destruction avec cette bande d’incapables à vos côtés. Finir de transformer  le beau Liban en décharge polluée et arriérée. Un pays isolé, en faillite, au ban des nations et embourbé dans ses contradictions. Vous réussiriez enfin à vous débarrasser des élites que vous méprisez. Exit le vieux Liban occidentalisé, votre Liban sera un  dominion des ayatollahs, pauvre, laid, malheureux et revendicatif. À la moindre révolte, vous lâcherez vos loups de leurs bidonvilles pour terroriser ceux qui osent encore protester. Un Liban voyou, toujours  prêt à en découdre, à s’autodétruire dans une guerre pour se reconstruire, vite et mal.

Mais sachez que vos enfants n’en seront pas plus riches ou heureux pour autant. Au contraire, les barrages hydrauliques mal construits auront pollué leur eau potable, leurs plages seront encore plus sales et bétonnées, l’air qu’ils respireront sera vicié et ils n’auront toujours pas d’infrastructures ou de transports dignes de ce nom. Ils seront encore plus  désavantagés (“mah7roumine”) que leurs aïeux avec la maigre et odieuse consolation que tous les autres se seront effondrés à leur niveau. Les belles pierres et les tuiles rouges auront définitivement fait long feu. Les autres villages seront désormais, eux aussi, construits avec des maisons en béton laides et  inachevées. Les communautés chrétiennes et les élites musulmanes se déliteront, perdant l’avantage que leurs écoles et universités occidentalisées leur conféraient. Ces établissements qui faisaient du Liban un bastion culturel dans une région obscurantiste seront morts par manque de fonds et d’élèves. Les banques que vous honnissiez car symboles de cette opulence injuste sont d’ores et déjà annihilées. Les citadins sunnites appauvris cesseront peut-être enfin de vous  prendre de haut mais l’hydre du fanatisme et de la misère se sera enracinée dans leurs quartiers. Et elle est souvent encore plus terrifiante et misérable que vos propres démons. 

10.7.20

Lettres ouvertes au Hezbollah - Lettre 1 : Ce que vous êtes


Après des mois de lamentations sur l’état du Liban, je m’adresse aujourd’hui directement à vous dans ces messages d’un Libanais d’outre mer modéré à un parti qui n’écoute pas toujours les Libanais.

Mon pays natal a fait naufrage et vous en êtes responsables tout comme les autres politiciens avec vous, vos alliés, vos ennemis, vos partenaires, les chiites, les sunnites et les chrétiens. Oui, vous êtes tous coupables de cette débâcle. Mais il y a une chose qui démarque votre parti et son drapeau jaune des autres, c’est lui qui tire les vraies ficelles de ce pauvre pays à la dérive. 

Tout d’abord un aveu: Je n’ai franchement pas beaucoup de sympathie pour vous. Je n’aime pas la nature islamiste de votre parti, elle n’est pas inclusive et elle menace (volontairement ou pas) les gens qui ne partagent pas vos croyances et vos coutumes. Pour beaucoup de Libanais elle s’oppose à notre mode de vie et à notre histoire, elle nie notre petite civilisation levantine ouverte sur le monde. Et contrairement à vous, des gens comme moi ne voient pas en la République Islamique d’Iran une source d’inspiration ou de progrès pour le Liban.  Comment nous le reprocher? Cette république est régressive, autocratique, souvent violente  et son propre peuple souffre quotidiennement. 

Ensuite une concession pour éviter tout malentendu: Je reconnais et admire que vous ayez tenu en échec Israël et réussi à libérer le Sud du pays malgré la surpuissance militaire de l’occupant. Cela nous a évité la colonisation et l’annexion unilatérale de nos terres comme l’Etat Hébreu les affectionne. Mais je pense que cette victoire, si prestigieuse soit-elle, ne justifie pas ce chèque à blanc que vous vous êtes octroyé sur l’avenir du Liban. Les médailles de guerre ne sont pas des sceptres. Malgré son rôle pour libérer son pays des Nazis, De Gaulle avait bien dû renoncer au pouvoir en 1946. 

Vous vous êtes, au contraire, accrochés à vos armes et vos passe-droits et accaparé le pouvoir en coulisse. Puis vous avez lâché vos hordes sur le gouvernement en 2008. Vous avez trempé dans des assassinats politiques. Et vous avez ensuite mené des guerres qui ne sont pas les nôtres. Votre soutien militaire au régime Syrien est une gifle à tous vos compatriotes qui ont souffert de cette dictature  tyrannique. Vous avez envoyé des jeunes Libanais mourir pour maintenir en place des despotes.

Je vous reconnais vos contributions sociales au bénéfice de votre communauté chiite et votre capacité à bien vous organiser pour servir cette partie de la population. Dommage que vous n’ayez utilisé cette discipline que de manière sectaire ou belliqueuse et que vous ne l’ ayez jamais propagée pour le bien de tous. Vous auriez pu par exemple réorganiser notre agriculture et la moderniser. Vous auriez pu combattre le gaspillage et la corruption généralisée. Mais vous étiez trop occupés ailleurs, à jouer aux vassaux zélés d’un obscur et lointain ayatollah.