29.1.20

Triste spectacle

Elle est triste la journée où les puissants  décident ouvertement de lâcher les principes de justice, d’équité et de droits de l’homme qu’ils sont pourtant sensés défendre et il est bien pénible de voir le monde vaciller dans la ploutocratie et la loi du plus fort décomplexées.

M. Trump par son plan de paix a concocté un véritable traité de Versailles unilatéral et sur mesure pour son inique ami Israélien en ignorant royalement les droits humains des Palestiniens. Pas de pays, pas de droits, pas de continuité territoriale, aucune empathie pour les souffrances de plusieurs générations, aucun geste s’apaisement. A part la promesse scabreuse de milliards de dollars en échange de l’humiliation, d’un territoire morcelé, de bantoustans enclavés sans espoir de prospérer, découpés par des routes et des colonies israéliennes et une banlieue pour capitale.

L’image d’un président en procédure de destitution avec le premier ministre israélien poursuivi pour corruption nous présentant un plan de paix en grande pompe aurait pu être risible. Mais ceci n’est pas une farce, c’est un spectacle amer où la civilisation recule.

23.1.20

Défaitisme ou petits pas



Ce matin à Beyrouth on ressent bien sûr de la déception et de l’amertume. Le nouveau gouvernement n’est pas celui que la rue demande, il ne s’est pas affranchi du communautarisme, il est toujours sous l’emprise des partis traditionnels et des caïds qui dominent le parlement.

Mais dans ce sombre tableau il faut noter quelques petites améliorations dans la rue devrait être fière même si ce n’est que le début d’un long chemin pour réformer le Liban. Ces tous petits pas en avant n’auraient jamais eu lieu sans la force des manifestants et la peur qu’ils ont inspiré au pouvoir.

La première avancée est le fait que nous soyons débarrassés de cette malédiction de gouvernements de fausse union  nationale qui permettaient à chaque parti  au pouvoir de se laver les mains au moindre échec en le rejetant sur leurs opposants.

La deuxième et la présence de six femmes sur vingt ministres avec des portefeuilles importants comme la justice ou la  défense. Certes, on reste loin de la parité, mais comme je l’ai souvent dit, le salut viendra peut-être des femmes au Liban. Tout d’abord les hommes ont clairement échoué depuis 1943.  Mais aussi et surtout, dans un système confessionnel paralysé par la peur d’autrui, les femmes ont l’avantage et la force d’inspirer moins de crainte et plus de confiance quelque soit leur origine religieuse.

Enfin, l’absence de tiers de blocage et la présence de nombreux profils spécialisés sont aussi une victoire contre l’immobilisme patent dont souffre le pays depuis plusieurs décennies.

Là s’arrêtent les menues victoires. L’emprise des partis est claire sur un nombre de ministres. Les arrangements stupides et les faveurs restent de mise. Le spectre maléfique du chef du parlement, la peur de voir l’électricité confiée à un parti qui a échoué (ou volé l’argent) pendant des années, les écueils sont nombreux...

Alors sans complaisance ou faux espoirs, voyons juste les choses un tout petit peu plus positivement qu’à notre habitude. Arrêtons de crier au loup et tout rejeter en bloc. Surveillons cette nouvelle équipe et demandons lui des comptes. Redescendons dans la rue à chaque fois qu’elle faiblit. Continuons à dénoncer la corruption désormais démasquée par la thawra. Et organisons nous pour exiger des élections anticipées.

20.1.20

Les sirènes trompeuses de la violence

Après trois mois de révolution pacifique les rues de Beyrouth se sont malheureusement embrasées ce week-end et on compte des centaines de blessés.

D’abord, pour le contexte, rappelons le spectacle affligeant de la classe politique qui ne réussit même pas à former un nouveau gouvernement tant les avidités sectaires et partisanes y sont puissantes. L’égoïsme forcené, la stupidité et l’incompétence des dirigeants sont désormais à ciel ouvert et elles provoquent la colère. Tous les partis sont coupables: Ceux de la majorité avec en tête, un président de la république apathique et son gendre incompétent tous deux dépassés par les événements et un président du parlement abject accroché à ses privilèges mafieux. Mais aussi ceux d’une opposition inique en embuscade qui n’avait pourtant pas hésité à participer à l’ancien  gouvernement et qui essaye maintenant de reprendre du galon, tel un bandit qui dénonce ses anciens complices pour sauver sa peau et accaparer le butin. Sans parler de l’ancien premier ministre qui n’a jamais rien réussi à faire pour son pays et qui est tout aussi responsable de la catastrophe économique et sociale.

Le recours à la violence est donc malheureusement tentant  pour ceux qui se sentent oubliés et méprisés et n’ont plus rien à perdre alors que leurs comptes en banque ont été vidés. Or la colère et la violence peuvent sonner le glas de la révolution. Outre leur échec moral évident, leur capacité à diviser les rangs même de la révolte et le feu vert qu’elles représentent pour la répression policière en font un choix funeste. Puis, au risque d’être froid et calculateur, pour gagner par la violence, il faudrait que celle-ci puisse être plus forte que tous les partis politiques réunis (y compris une milice pro-iranienne armée jusqu’aux dents...). Pas le plus pragmatique des choix.

Alors n’oublions pas les vrais objectifs de cette révolution libanaise : le départ des anciens caïds (tous, c’est à dire tous!), la lutte contre la corruption devenue religion d’état et la fin du communautarisme. Répétons-les comme un mantra salvateur. Aucun progrès ne se fera sur ces fronts en vandalisant quelques banques et jetant des pavés sur les policiers. Avec l’échec annoncé du premier ministre désigné à former une équipe compétente, seules des élections anticipées peuvent amener au parlement un vent nouveau. Il faudrait, par la désobéissance civile, appeler clairement à leur tenue le plus vite possible.

15.1.20

Sortez Berry


Hier, les gens sont à nouveau descendus dans la rue à Beyrouth. Les routes sont à nouveau bloquées.
Dans cette crise politique économique et financière qui s’éternise, on se demande d’où viendra le déblocage alors que tous les partis semble camper sur leurs positions.

Il y a un signe intéressant dans la semaine de la colère initiée aujourd’hui. Les manifestants ont été appelés à marcher vers le domicile du premier ministre désigné. Mais pour la première fois fois ce n’est pas juste pour le conspuer et le rejeter, c’est pour lui mettre la pression pour former son gouvernement de spécialistes tel qu’il l’a promis et malgré les blocages provenant des partis mêmes qui l’ont nommé et notamment les manigances habituelles du président du parlement. 

M. Berry, déjà bien connu pour sa corruption et son clientélisme érigés à l’État d’institutions,  continue son jeu habituel. L’ancien caïd de guerre reconverti sur le perchoir de la chambre depuis trente ans (sic) essaye, comme d’habitude, d’installer telle ou telle personne à tel ou tel ministère même si cela veut dire prolonger la formation du gouvernement ad vitam aeternam. Son mépris pour l’intérêt général atteint des niveaux inouïs.

La seule vraie question est pourquoi est-il toujours là? Il n’a ni les armes de ses alliés chiites, ni leurs lauriers. Son vieil allié, le pouvoir Syrien, a mieux à faire. Sa popularité dans le Sud s’est délitée à coup de scandales de corruption et détournement de fonds publics. Ses députés ne sont élus que parce que son puissant allié leur laisse les sièges. Tout au plus, il lui reste son épouse et quelques bandits qu’il envoie dans la rue brûler des voitures ou attaquer les civils dès que son pouvoir est menacé. On ne peut qu’appeler à sa destitution immédiate en encourageant ses alliés à le lâcher le plus vite possible. Après le départ du premier ministre sortant, ce serait une autre victoire pour le Liban.

9.1.20

La cause de tous nos maux: serait-ce la langue arabe?


Le Moyen Orient en ce début d’année n’en finit pas de sombrer dans la pire décadence qu’il n’ait jamais connue. Pas un pays vraiment en paix de la Libye à l’Iraq, pas un succès économique qui ne soit artificiel ou gonflé de pétrodollars, pas une vraie démocratie qui fonctionne, le bilan est déprimant.
L’impasse où se trouve la civilisation arabo musulmane annoncée par Amin Malouf dans “Le dérèglement du monde” semble se matérialiser un peu plus chaque année.
Cela pousse à s’interroger sur les vraies raisons de ce déclin.


Une cause trop souvent évoquée pour nos difficultés moyen orientales est l’héritage obscurantiste et féodal de la domination ottomane dont le règne s’établit du XVIIème au XXème siècles en divisant les communautés sur base de religions et d’appartenances et des petits caïds locaux. Soit. Mais les Turcs sont partis il y’a désormais cent ans. Pourquoi ne sommes nous toujours pas sortis de ce carcan? 

Une cause prônée par les islamophobes est la nature obscurantiste et sexiste de l’Islam qui tire les populations vers le bas. Mais cette théorie raciste se démonte facilement dans des pays musulmans loin du moyen orient qui ont des niveaux de développement comparables à leurs voisins non musulmans. C’est plutôt  la place disproportionnée que la religion occupe qui semble être le problème.

Trop souvent évoquées sont aussi les accusations coutre l’impérialisme occidental et Israël, causes supposées de tous les maux. Mais la aussi, la cupidité des puissances occidentales depuis des siècles a recouvert tous les continents et nous n’en avons pas le monopole. Tout pays faible est exposé à l’impérialisme sans exception. Quant à Israël, il est difficile d’expliquer son influence sur les malheurs libyens, algériens ou irakiens  

Une cause bien plus plausible de nos problèmes est l’alphabétisation trop faIble et une éducation longtemps dépriorisée. Élément à charge, selon l’UNESCO, et bien que n’étant pas les pays les plus démunis de la planète, les pays arabes enregistrent les taux d'alphabétisme des adultes les plus bas du monde; seuls 62,2% des plus de 15 ans étaient capables de lire et d'écrire; ce taux est nettement inférieur a la moyenne mondiale [84%] et à celle des pays en développement (76,4%).

Au delà de l’incurie des politiciens, ces  retards sont intimement liés à l’obsolescence de la langue. La langue officielle, l’arabe littéral, fonctionne comme le latin d’avant la Renaissance en Europe. Plus personne ne sait le parler, il est difficile à apprendre et lire. On ne l’entend plus que dans des discours officiels, les prières et les journaux télévisés. Avec la digitalisation, il s’éteint encore plus vite. Les gens parlent et textent en utilisant  leur dialecte local qui ne s’écrit pas. Ou ils l’écrivent avec des caractères latins entrecoupés de chiffres pour remplacer les sons qui n’existent pas en Occident. Notre attachement à la belle langue arabe classique ne s’explique que par une nostalgie romantique, son statut de seul vrai rassembleur des pays arabes ou de langue du Coran.
Or il existe près de 65 millions d'analphabètes dans le monde arabe soit 43 % de la population (32 % parmi les hommes et 56 % parmi les femmes). Et il est beaucoup plus difficile d’alphabétiser une population avec une langue qu’ils n’utilisent presque jamais dans la vie courante. 
Autre preuve troublante, toutes les classes moyennes et tout le business privé dans le monde arabe utilisent généralement une autre langue, l’anglais un peu partout ou le français en Afrique du Nord et au Liban. 
Or sans alphabétisation, pas de développement, pas de classe moyenne et pas de démocratie. Cela laisse le terrain fertile aux despotes et mollahs. Et aux interventions étrangères visant les ressources. 
La solution? Peut être faut il se résoudre à créer un arabe moderne simplifié au moins pour le Levant ou les dialectes sont similaires (Liban, Syrie, Palestine et Jordanie). 

Illettrisme, divisions et omniprésence des religions à l’extérieur des temples, les voilà les ingrédients médiévaux de notre débâcle. Si l’Orient veut sortir de l’impasse, c’est à eux qu’il faut s’attaquer.