25.8.20

De New York à Beyrouth


En rentrant hier soir de nos quelques jours de vacances à Cape Cod, nous avons renversé et brisé un gros bocal de verre sur l’entrée le perron de notre maison à Manhattan.


C’est pourquoi je me retrouvai avec un balai à épousseter et enlever les éclats de verre clairsemés devant la maison, dans la chaleur étouffante des soirées d’été new-yorkaises, assailli par quelques moustiques voraces. Et dans cet épisode si futile, je ne pus m’empêcher de penser à ce qu’ont vécu mes compatriotes libanais en cet effroyable mois d’août, nettoyant le verre et les autres débris de leurs maisons soufflées par l’explosion du port, et cela pendant de longues heures et dans la chaleur humide de Beyrouth. Dix minutes à peine  désagréables pour moi contre des journées entières de nettoyage et de réparations pour eux. Un incident sans aucune gravité ici contre une apocalypse là-bas avec ses cortèges de morts, disparus et blessés. Ces Beyrouthins terrassés sont les victimes d’un État failli; leurs économies sont inaccessibles, leur devise n’achète plus rien et une simple vitre en ville ne peut plus être dénichée qu’en échange de billets verts.


Tout cela a de quoi me faire admirer leur courage de rester debout dans ce pays qui n’en finit pas de les maltraiter. De quoi m’encourager dans cette petite levée de fonds initiée avec mes enfants et dédiée à nos belles maisons traditionnelles, reliques si fragiles d’une civilisation perdue. Et de quoi m’émouvoir et me mettre en colère à la fois, surtout quand je fais la connaissance de ces familles au téléphone pour comprendre leur situation et que j’entends l’accent levantin si familier dans leurs voix brisées par ce désastre.


Ces bâtisses anciennes, nous ne savions pas vraiment les apprécier. Nous les maltraitions. Tout comme nos dirigeants ineptes et incompétents. Moi-même enfant  dans ce vieux Beyrouth, je les trouvais vieillottes et délabrées et leur préférais bêtement les immeubles modernes de verre et d’aluminium. Je ne savais pas encore que ce décor était le cœur-même de mon pays, fragile mais encore battant, l’âme piétinée, ottomane, italienne ou française, de cette ville. Ces vieilles maisons  sont désormais telles des victimes sur des brancards, défilant devant mes yeux par flopées, ravagées, déchiquetées, oblitérées par la stupidité meurtrière de cet incorrigible Orient. 


Alors de cette vieille brownstone new-yorkaise où j’habite, je rêve que nous puissions sauver les maisons de ces familles qui nous ont contactés. La tâche devant nous est noble et immense à la fois.

15.8.20

Architecture in peril / Architecture en péril

(scroll down for French)

Architecture in peril

They often have three arches, wooden shutters, red tiled roofs and stone walls. They also have balconies and verandas, iron balustrades. They are sometimes well over a hundred years old, remains of a civilization in peril, sacrificed by wars but above all by the greed and carelessness of the Lebanese authorities.

While they used to give Beirut a special architectural character, setting it apart from other capitals in the Middle East, our old houses and their little Italo-oriental feel were already rare. Many were swept away by the modernist rage and especially the lack of town planning and the endemic corruption of the regulator. After the end of the war, the Beirut town hall issued demolition permits carelessly, replacing our little gems, too small and too expensive to restore, by hideous residential skyscrapers. Take towers from Dubai and throw them in Neapolitan alleys, cement crowding out jasmine, aluminum and glass replacing stones and tile, you imagine the aesthetic disaster.

On each of my visits to Beirut, I used to mock what I called "architectural terrorism" disfiguring our old neighborhoods. At least a few good souls had managed to save some of the houses, often turning them into restaurants, sports clubs or bars. Not ideal but better than cement. Others have taken to building new floors above their old buildings turning them into hybrid creatures but keeping at least one or two facades with a semblance of charm. How to throw stones at these old Beirut landlords whose rents have never been regularized and who do not receive any assistance from their shady town hall?

After the explosion of August 4th precisely hit the few hundred old houses and old buildings still standing in the neighborhoods adjacent to the port. At a time when glass and window repairs cost thousands of dollars in a city stripped of its bank accounts, our architectural heritage is truly on the verge of extinction, a decisive disappearance this time. And don't let us hear about that damned phoenix rising from the ashes! In a century, Beirut will have grown from a small town of beautiful stones, gardens and red tiles to a forest of hideous concrete. Congratulations to our municipality for this achievement worthy of a book of records. How to make a city ugly as quickly as possible, well done ... Fortunately, civil society and UNESCO are mobilizing to try to protect our neighborhoods. Let us wish them success and let us be their ambassadors.

With the money raised by this initiative, we will help the occupants of these houses to bear the cost of the repairs in order to encourage them to stay there and thus preserve the architectural heritage of Beirut.
https://www.gofundme.com/f/save-beirut-old-houses

Elles ont souvent trois arcades, des persiennes en bois, des toits en tuile rouge et des murs de pierres. Elles ont aussi des balcons et des vérandas, des balustrades en fer forgé. Elles ont parfois bien plus que cent ans, vestiges beyrouthins d’une civilisation en péril, sacrifiée par les guerres mais surtout par l’appât du gain et l’incurie des responsables.

Alors qu’elles faisaient de Beyrouth une ville au patrimoine architectural intéressant et la distinguaient des autres capitales du moyen orient, nos vieilles maisons et leur petit air italo-oriental se faisaient déjà bien rares. Beaucoup furent emportées par la rage moderniste et surtout l’absence d’urbanisme et la corruption endémique du régulateur. Après la fin de la guerre, la mairie de Beyrouth a délivré des permis de démolir à tour de bras, laissant remplacer nos petits bijoux trop petits et trop chers à restorer en hideux gratte-ciel résidentiels. Prenez des tours de Dubai et faites les atterrir dans des ruelles napolitaines, le ciment évinçant le jasmin, l’aluminium et le verre remplaçant les pierres et la tuile, vous imaginez le désastre esthétique.

A chacune de mes visites à Beyrouth, j’ironisais tristement sur ce que j’appelais des « attentats architecturaux » défigurant nos vieux quartiers. Au moins quelques bonnes âmes avaient réussi à sauvegarder certains de ces vestiges en les transformant souvent en restaurants, clubs de sports ou bars innombrables. Pas idéal mais mieux que le béton. D’autres ont entrepris de construire des étages au dessus de leurs vieux immeubles tournés en créatures hybrides mais gardant au moins une ou deux façades avec un semblant de charme. Comment jeter la pierre à ces vieux propriétaires beyrouthins dont les loyers n’ont jamais été régularisés et qui ne reçoivent aucune assistance de leur mairie véreuse?

Après l’explosion du 4 août, ce sont justement ces quelques centaines de vieilles maisons et immeubles anciens encore debout dans les quartiers jouxtant le port qui ont le plus trinqué. A l’heure où les réparations des vitres et des fenêtres se négocient en milliers de dollars dans une ville dépossédée de ses comptes en banque, notre patrimoine architectural est vraiment en voie d’extinction, une disparition décisive cette fois. Et qu’on ne nous parle pas de ce satané phénix qui renaîtra de ses cendres! En un siècle, Beyrouth sera passée d’une petite ville de belles pierres, jardins et tuiles rouges à une forêt de béton hideux. Félicitations à notre municipalité pour cet exploit digne d’un livre des records. Comment enlaidir une ville le plus vite possible, bravo... Heureusement, la société civile et l’UNESCO se mobilisent pour tenter de protéger nos quartiers face à la pègre mafieuse et son avidité. Souhaitons leur de réussir et soyons leurs ambassadeurs.

NB:J'ai créé une initiative avec mes enfants Matthieu et Justine Choueiri ainsi que ma nièce Youmna Jalkh . Nous levons des fonds pour aider à couvrir les frais de réparation des maisons traditionnelles endommagées à Beyrouth afin de préserver son patrimoine architectural en danger. Merci de nous contacter si vous avez un projet de réparation d'une maison traditionnelle à Beyrouth endommagée par l'explosion du 4 août 2020. Nos contacts sur place à Gemmayze et Achrafieh vous visiteront  et financeront votre projet dans la mesure du possible. Nous mettrons a jour cette page avec des photos avant-apres.

https://www.gofundme.com/f/save-beirut-old-houses

Avec l'argent récolté par cette initiative, nous voulons aider les occupants de ces maisons à amortir le coup des réparations afin d'encourager de s'y réinstaller et préserver ainsi le patrimoine architectural de Beyrouth.

10.8.20

Tournons la page du général

J’ai un aveu à vous faire. J’y avais aussi cru en 1989. Le général, avec sa guerre de libération, voulait sortir les loups étrangers et réunifier le pays. il nous avait fait rêver. Bon, j’étais encore un enfant avant d’être précipité sur la route de l’exil. Puis de voir tous mes rêves se fracasser en guerres interchrétiennes et instauration d’un protectorat Syrien jusqu’en 2005.


Plus de trente ans après, il y a quelque chose de profondément pathétique dans l’image de ce même général, vieux, fatigué, arrimé à son siège pour lequel il a tant lutté et auquel il n’a accédé, à bout de souffle, que par l’équation du populisme et des armes iraniennes. Je pense qu’il y avait franchement cru, sa popularité 

 et son âme de frondeur avaient  fini par le persuader à tort qu’il pouvait être un sauveur. Au point qu’il en a oublié qu’il fallait un programme pour gouverner ce pays si difficile. Une nouvelle idée. Et à peine installé sur ce trône de pacotille, toute la nation  s’est effondrée autour de lui. Il est désormais là, prostré avec ses supporters agrippés à ce siège branlant, un radeau de la méduse libanais. 


C’est que son manque de flair politique a en réalité toujours été stupéfiant. Il s’est depuis des décennies  égaré en insultes contre ses ennemis, engueulades avec les ambassadeurs et contradictions en tout genre. Il s’est vautré dans des querelles sanglantes et divisé les chrétiens du Liban. Ses discours maladroits -comme celui il y a quelques mois où il invitait les Libanais mécontents à partir!-, la nomination arrogante d’un beau-fils sans charisme, son manque de discernement sur l’équipe dont il s’est entouré, autant d’erreurs funestes qui ont accéléré son naufrage et celui du pays. Il ne suffit pas d’être une grande gueule en treillis troqué pour un costume cravate pour devenir un homme d’Etat et certainement pas quand le pays qu’il faut gérer est un casse-tête historique 


Ses prédécesseurs n’étaient pas de meilleurs gestionnaires, loin de là, ils sont tous coupables de cette débâcle. Je ne m’étends pas sur celui qui a éventré la montagne pour construire une autoroute  à son nom menant à son village. Parler des incapables pantins choisis et installés pour leur insipidité serait une perte de temps. Mais ils avaient eu la lâcheté de s’effacer, laisser d’autres tenir les rênes du pouvoir et enraciner la corruption comme nouvau système. Aujourd’hui le peuple les vomit tous. 


D’aucuns ont vu dans l’alliance du général avec le Hezbollah (la seule entente durable qu’il ait jamais réussi à faire de toute sa carrière politique)  une occasion pour les chrétiens d’être protégés par le puissant mouvement chiite pro Iranien, voire de l’influencer positivement. Mais cet accord a vite montré ses limites. Il n’avait comme base commune que le populisme et le rejet des vieilles familles politiques. Le général n’a ni réussi à « libaniser » son allié, bien au contraire, ni persuadé ses chefs  de se préoccuper de  l’intérêt du Liban. Ou créer un projet commun avec eux. Ils avouent eux mêmes être plus intéressés par le port de Haïfa en Israël que celui de Beyrouth, une gifle à tous leurs concitoyens qui ont tant souffert ces derniers jours. Et même pour ce Hezbollah, cette alliance avec le général ne leur aura servi qu’à s’acheter quelques années de plus dans leur statut intenable de milice religieuse surarmée faisant un doigt d’honneur iranien aux grandes puissances, aux dépens du bien être et de l’avenir de tout un peuple. 


Aujourd’hui, que les intentions du général eussent été bonnes ou pas n’est plus vraiment la question. Le vrai sujet est la relève, tourner la page, trouver des hommes ou des femmes providentiels qui puissent apporter un vent nouveau. Oui, il aurait peut être pu au moins essayer de  dissoudre le parlement avec l’accord du premier ministre dans un coup d’éclat salutaire mais il n’y a peut être même pas pensé. Espérons juste que nos amis Aounistes acceptent d’avancer plutôt que rester braqués sur la défaite cuisante de leur général adoré. Il devait constitutionnellement plier bagage dans deux ans de toute façon. Alors que l’avenir  du pays, lui, reste inconnu.

9.8.20

Battons-nous

 Au lendemain des explosions meurtrières, quelles sont belles les images des ministères pris d’assaut par ces manifestants avec leurs drapeaux. Et comme ils me consolent les nombreux posts de cette génération en colère qui exige un nouveau Liban. Comme au 17 octobre, à chaque fois que ce peuple descend dans la rue, qu’il appelle à la fin du confessionnalisme et vomit tous ses caïds (tous!), mon cœur rebat au rythme de mon pays perdu.


Oui, moi, l’émigré de longue date, devenu français et citoyen du monde depuis plus de trente ans, je me surprends encore à espérer que mon petit pays du cèdre se ressaisisse enfin. Incorrigiblement nostalgique de ma ville natale, je n’ai jamais pu m’empêcher d’imaginer qu’elle puisse arrêter son inexorable  déclin amorcé en 1975. Mais à peine en légère rémission qu’elle replongeait encore plus bas dans sa faillite civique et morale, à mon plus grand désarroi et jusqu’à cette année apocalyptique. À l’image de ces porte-fenêtres de mon appartement d’Achrafieh, ma ville est désormais oblitérée mais toujours debout.


Alors, serait-ce différent cette fois? Ou le Liban s’assoupira-t-il à nouveau dans sa décadence ? Des élections anticipées semblent être à l’ordre du jour. Même du fond de mon exil j’ose vous le dire: Arrangeons nous tous pour voter. Ne cédons surtout pas au fatalisme, ce mal qui nous terrasse depuis des générations. Battons nous jusqu’au bout pour cette petite civilisation dont il ne reste vraiment plus que des lambeaux. Nous ne nous pardonnerons jamais  de ne pas avoir essayé. 

7.8.20

M. Macron, trop brillant pour être aimé


Étonnant Président M.Macron. Injustement mal-aimé dans son pays, il fait l’unanimité ailleurs.


Hier à Beyrouth, il était sur les lieux funestes de l’explosion, au chevet de la population meurtrie alors que les responsables Libanais trop conspués n’avaient même pas osé s’aventurer en ville.  Lui a même fait un bain de foule où il a tenté de consoler des Beyrouthins en colère lui attirant des “Vive la France” et une sympathie touchante. Même les dirigeants embarrassés par cette visite, les détracteurs de la France et les éternels ennemis de l’Occident n’ont pas osé dire un mot contre lui. 


Avant tout cela, sa gestion du Covid en France a été vertement critiquée depuis le premier jour par la presse française. Il aurait lui même apporté des pangolins contaminés à Paris qu’il n’aurait pas subi autant de remontrances. Et pourtant les chiffres ont montré que la France a mieux géré cette crise que la plupart de ses voisins et son économie est repartie bien plus vite que les autres pays d’Europe. Vus des États-Unis où l’épidémie s’est soldée par un soap opera grotesque et un deuxième rebond, M. Macron et son équipe  font franchement rêver.


Aucun président français depuis des décennies n’avait réussi à redresser l’économie et baisser la courbe du chômage. Aucun n’était parvenu à relancer l’investissement étranger à des niveaux aussi élevés. Aucun n’avait remis la France au devant de la scène internationale autant que lui sans parler de son courageux entêtement à relancer le mouvement Européen.


Alors pourquoi cet acharnement? Pourquoi cette négativité? Peut être est-ce cette coutume bien française où on ne pardonne rien aux gens brillants. Les premiers de classe comme M. Macron attirent tous les regards et se font sermonner sans repos, dans une recherche idéaliste de l’excellence. Les gens médiocres qui ne font rien, on s’en désintéresse, on leur pardonne et on les ignore. Mais pas M.Macron. Des gilets jaunes décérébrés voulaient même le décapiter moins d’un an après son élection! Ce n’est que quand il sera parti qu’on commencera  à lui tresser des lauriers. 

5.8.20

Les silos de mon port

Beyrouth a littéralement explosé en son cœur.


Ce grand bâtiment blanc devant le port, vu et revu dans les vidéos du tragique événement, il avait toujours intrigué l’enfant que j’étais, grandissant dans cette ville troublée. Mon père m’expliqua un jour que ce n’étaient que des silos à blés. Construits du temps béni où ce port était le plus important de la Méditerranée orientale et qu’il desservait tout le hinterland arabe, accueillant des navires du monde entier. Notre ville et sa rade bien abritée incarnaient alors l’image de ce Liban prospère, ouvert sur le monde. Pendant la guerre, la route pour sortir de Beyrouth-Est longeait ce port. La silhouette imposante de ses silos donnait à ma ville une allure de cité presque normale, me faisant oublier qu’elle était divisée en deux, constamment bombardée, plusieurs fois détruite et occupée. 


Le 4 août 2020, j’ai revu donc ce bâtiment et le port entier voler en éclat sur mon écran de téléphone. Une explosion dantesque qui emporta tout et détruisit ma ville natale en quelques secondes. Et de cette Amérique où je vis, j’ai versé une larme sur ces bons vieux silos qui avaient pourtant bien résisté aux guerres et au temps. Ils étaient comme un ultime rempart aujourd’hui effondré face à la barbarie, la négligence et la faillite d’un État. Tout comme les rares vieux immeubles et maisons du XIXème siècle qui survivaient encore dans nos quartiers surplombant le port. Ces reliques mal-aimées d’un passé plus glorieux, on les abattait déjà bêtement ou les encerclait de gratte-ciel immondes, cette explosion les a achevées. Nues, sans fenêtres ni leurs tuiles rouges, elles s’avouent vaincues, elles expirent. Je pense surtout à mes amis qui se battent encore courageusement là pour maintenir un semblant de civilisation dans cet Orient revêche, leurs bureaux ont été dévastés, leurs appartements aussi. Le souffle de l’explosion les a meurtris, il a blessé leurs parents qui connaissaient le Liban d’avant et que cette ville aurait dû choyer. 


En France, le 4 août 1789 était la date où les privilèges de la noblesse furent abolis. Espérons que pour le Liban, le 4 août 2020 sonne le glas de l’incompétence des responsables, de l’incurie des dirigeants et du laisser-aller meurtrier. Que l’hydre infâme qui nous dirige meure enfin de son propre poison.