19.6.14

Pensée pour Benzema

Est-ce l’âge qui me rend émotif ? Ou seraient-ce les blessures encore ouvertes de l’Afrique du Sud, ce souvenir triste d’une France désunie, divisée, gangrénée par ses haines ?

La victoire contre le Honduras m’a en tout cas ému.
Et contrairement à beaucoup, ce ne sont pas les vrais buts – certes splendides - de Karim Benzema qui m’ont le plus touché. Ni même le beau travail d’équipe contrastant avec les individualismes persistants du passé.

C’est le penalty réussi de Benzema qui m’a comblé. Car ce penalty représentait bien plus qu’un premier but de bon augure pour la coupe du monde. C’était un test dur, imprévu, rapide. Un jeu terrible du hasard, une première note du concert et elle se devait d’être juste, parfaite. Un penalty à couper le souffle où la moindre faute eût été cataclysmique, de nature à réveiller les pires démons et propulser l’opinion publique et les médias dans le négativisme chronique dont la France souffre si souvent .

Qu’on le veuille ou pas, qu’on l’aime ou pas, Benzema représente beaucoup de Français. Et une France qui a plus que jamais besoin de rêver. La vraie victoire serait qu’il soit un héros et qu’il fasse un Mondial exemplaire. Il n’en faudra pas beaucoup plus à la France pour l’aimer à nouveau.
Et peut-être qu’il saura le lui rendre un peu mieux aussi. On a envie de lui dire : « Allez Karim, tu es né à Lyon, la France t’a fait ce que tu es devenu, chante la Marseillaise et deviens un symbole d’union, pas de division».
La France est dans un besoin quasi-pathologique de cohésion nationale et de renouveau. Et aujourd’hui, ces deux batailles se jouent aussi un peu au Brésil.

31.5.14

Tony le doorman de la 96eme rue

Il fait froid ici en hiver et attendre le bus scolaire a l’orée de Central Park n’est pas un plaisir quand les températures sont négatives. Heureusement que New York a aussi ses systèmes D et ses communautés. Un visage qui illumine nos matins est désormais celui de Tony.
Il est l’élégant doorman de cet immeuble d’avant-guerre de la 96eme rue.

Tony, c’est le rêve américain à lui tout seul. Né au Kosovo mais désormais plus new yorkais que quiconque, il règne sur ce block de l'Upper West side si naturellement, depuis trente ans, d’ un air débonnaire, gentil, attentionné, toujours en uniforme impeccable.

Il me repéra avec mes deux enfants s’abritant tant bien que mal sous l’auvent de l’immeuble voisin et depuis il nous offre l’hospitalité de son hall surchauffé. Il fait attendre le bus scolaire les très rares fois où nous sommes en retard. Il nous appelle un taxi les moins rares fois où le bus ne se présente pas. Il rit aux éclats des blagues de mon fils et s’attendrit sans cesse de la gentillesse de ma fille. Il me raconte sa famille, sa femme, sa fille et je lui raconte ma vie. Un épisode à la fois, juste le temps que le bus jaune se présente.
Les habitants de l'immeuble le saluent cordialement. Il connaît tous leurs noms meme si l'immeuble est immense. Quand il part en vacances, ils lui disent qu'il leur a manqué.
Deux hivers aux Etats-Unis et déjà des expériences qui rendent New York moins dur qu’il n’y parait, quand la chaleur de l’immeuble cossu et intimidant devient rendez-vous matinal pour bien commencer ma journée. « Have a nice day Alex, don’t work too hard », me dit-il chaque jour, sans faillir.

3.9.13

Impression newyorkaise 6: anniversaire

Un an déjà à New York.

Il y a une sensation de soulagement, presque de confort retrouvé. "We made it", nous nous en sommes sortis. Une année de tourmente et de tourbillons, une année où Manhattan vous teste, met votre corps et votre esprit à rude épreuve. Mais ne vous méprenez pas, cela ne se réduit pas à un bizutage, c'est plutôt un apprentissage rapide, sévère, soutenu mais qui donne satisfaction même si on ne peut en ralentir le rythme. Quand je relis mes cinq impressions, j'y revois ce parcours d'obstacles et de réussites, non sans un sourire.


Enfin, on réussit à voir le monde qui se cache derrière ce port, ce hinterland américain immense et riche, on se rend compte que New York n'est pas le centre de l'Amérique mais son port d'attache, sa porte d'entrée, son goulot chaotique. Enfin, je trouve le temps d'une escapade à Brooklyn, le plaisir d'un concert insolite sur une barge amarrée avec vue; un trombonne et une clarinette y chantent peut-être pour moi un air d'apaisement et de sérénité.


Puis ce matin, je pose trois dollars dans la gamelle du joueur d'alto avant de sauter dans mon train, je le prends en photo, spectacle d'un New York plus charmant, plus doux.

L'avantage surtout est qu'un an après son arrivée, on se sent résolument newyorkais légitime. Certes, on ignore encore beaucoup des secrets infinis de la cité mais on a le sentiment d'en connaitre déjà beaucoup. Et malgré l'énergie et la fatigue, on sait surtout qu'on est capable de survivre, y faire face, voire y trouver du plaisir.

7.7.13

Magnifique Gatsby

Magnifique Gatsby.

La critique sévère de ce film ne lui rend pas justice. Il y a bien plus dans Gatsby de Baz Luhrman que de merveilleux costumes, somptueuses maisons et soirées mirifiques.

Il y a d'abord la magie du roman de Scott Fitzgerald fidèlement interprété. Le jeu de qualité de Carey Mulligan en Daisy superficielle et légère, au bonheur futile et à la faiblesse patente ainsi que la belle performance de Tobey Maguire, le voisin de Gatsby, attachant et bienveillant mais qui manque parfois un peu d'aspérité. Sans doute est- ce pour mieux s'effacer devant Leonardo di Caprio, magique Gatsby, crédible, charmeur, tantôt fougueux tantôt rêveur, mais enfin si fragile. Il y a les décors somptueux d'une époque euphorique, fantasmée à souhait, une bande originale époustouflante, endiablée et incessante... au risque parfois de résonner disco et pas très entre-deux-guerres.

J'avais lu ce roman il y a des années et en avais gardé un souvenir doux mais confus, presque flou. Voir ce film me fit découvrir cette histoire touchante qui brouille les codes habituels et nous dit que l'amour le plus pur et la bonté la plus grande se cachent parfois derrière des murs de paillettes et d'apparente corruption. Peut-être que regarder ce film glorifiant le New York et Long Island des années 20 quand on habite là en 2013 a-t-il aussi contribué à mon enthousiasme, voire à un certain tropisme nostalgique de la Nouvelle Angleterre. Voilà comment j'enchaînai aujourd'hui en m'achetant un costume clair à rayures, à la grande déconvenue de mon épouse...

2.7.13

Impression newyorkaise 5: Premier été à Manhattan

L’été s’est emparé de New York.


C’est une chaleur lourde, moite, pesante. D’innombrables unités de climatisation (peut-être est-ce leur plus haute densité au monde?) se sont mises a vrombir, constamment, sourdement. Manhattan, la grande baleine en surchauffe n’en finit plus de suer et ronronner, de sentir fort et de se faire doucher plusieurs heures par jour d’une grosse pluie fugace mais quelque part rafraichissante.

Et les pauvres cadres comme moi, vestes à la main, cravates nouées puis vite dénouées, nous frayons notre passage au travers d'une foule de touristes en shorts, de badauds au torse nu, d'ouvriers en marcel qui se pavanent sans arrêt dans la ville fumante. Un peu comme tous les étés, on se sent un peu plus en vacances même quand on travaille, on boit davantage et on mange moins et on parle de weekends et de voyage.

Mais on observe aussi ceux qui partent vraiment. Chaque été New York renouvelle une bonne partie de sa population comme si elle rechargeait ses batteries. On les aide à déménager, on fait les pots d’adieu, on souhaite bonne chance aux futurs ex-Newyorkais. Ils sont souvent moroses de quitter cette hyper-ville, étourdis, enivrés par sa force. Puis on accueille les nouveaux, comme nous il y a presque un an déjà, fraichement arrivés, déboussolés et horrifiés par le bruit, la foule et les redoutables agents immobiliers.