27.5.13

Impression newyorkaise 4: l'échappatoire des Hamptons


On ne connaît pas vraiment New York si on n'a pas vu les Hamptons, l'alter ego de la cité mythique, étalé au bout de Long Island à deux heures de voiture. Une belle surprise est que New York et son Deauville sont comme l'alpha et l'oméga: la métropole la plus urbaine et bruyante est flanquée d'une ribambelle balnéaire des plus sauvages et des mieux préservées. Une lande immense sans aucun immeuble, couverte de pins, de dunes, de belles maisons en bois et de plages de sable fin interminables. Dans les Hamptons, la verticalité oppressante de la ville cède la place aux horizons les plus naturels, les demeures sont cachées dans des pinèdes ou derrière des haies patriciennes, les oiseaux, le vent de l'Atlantique et ses vagues sont les seules sources de vacarme.

Le soir du long weekend de Memorial Day, les gratte-ciel de Manhattan se désemplissent telles des fourmilières évacuées à la hâte, les condos d'uptown se vident et les rues étroites sont prises par une fièvre de départ, on charge les 4x4, on fait tout pour échapper aux embouteillages. Les ponts et les tunnels reliant Manhattan et Long Island noircissent de voitures qui partent vers l'est, à l'assaut de cet anti-Manhattan avec ses villages clairsemés. Ces New Yorkais chanceux fuient leur ville folle, abandonnent leur île hypertrophiée pour se ressourcer de quelques embruns océaniques et de moultes fêtes mondaines.

Fidèle à mon habitude que j'évoquai déjà dans mes articles britanniques, je ne résistai pas à l'attrait d'une baignade même dans l'eau encore glacée de la plage de Southampton. Mon premier été Newyorkais est désormais baptisé.

29.4.13

Impression newyorkaise 3: La patrie du Process

Ces derniers mois, j'ai découvert que les Etats-Unis sont étrangement la patrie des procédures ou pour être moins franchouillard, du "Process" avec un grand P, et cela aussi bien dans ce qu'il a de plus frustrant que dans son efficacité méthodique.


C'est un pays génial quand vous êtes justement bien calé dans le "Process". Tout fonctionne à merveille, c'est rapide, simple et efficace. Comme pour moi l'autre jour ou je repassais mon code de la route comme l'exige l'Etat de New York. J'avais les documents demandés, mon nom et prénom n'ont ni accent ni particule et apparaissent identiques que ce soit sur mon passeport ou sur mes justificatifs... Tout se passe alors comme sur des chapeaux de roues. Expédié en une heure montre en main.

Mais essayez de sortir ne seule fois de la norme et vous voilà dans le pétrin. Tout s'arrête, s'enraye. On vous isole, on vous scrutinise et soupçonne. On n'aime pas ceux qui ne s'alignent pas sur les normes. En Amérique, les règles sont les règles et s'en démarquer n'est jamais bien vu. Il n'y a aucune subjectivité dans tout cela, au contraire. Il s'agit juste d'un respect scrupuleux, voire obsessionnel. Depuis qu'Ellis Island accueillait ou rejetait des millions d'immigrés, c'est un pays où il fait juste bon d'être sans histoires. Pour ne pas dire sans trop d'Histoire.

29.3.13

Impression newyorkaise 2: contrastes

Cette ville surprend souvent par son insalubrité, ses friches urbaines glauques qui coexistent avec les plus opulents palaces, ses taxis frénétiques aux conduites tiers-mondisantes. Brute et brutale, étouffante puis glacée, New York est la ville extrême avec ses avenues impersonnelles qui ne semblent jamais se terminer. Mais la cité sait séduire. Uptown, downtown, chaque rue a une âme, cachée, exsangue, proprette ou déglinguée. La chaleur et les sourires des uns panse la vénalité et la froideur des autres. Les gospels endiablés de Harlem nous font oublier l'empire du profit qui règne sans conteste de l'autre côté de l'île. Une balade à Central Park sous un ciel bleu, une traversée d'un pont dévoilant cette forêt de gratte-ciels mythiques et je suis à nouveau réconcilié, tombé sous le charme de la Reine des métropoles. 

26.3.13

Impression Newyorkaise 1: nouveau né



Il n'est pas simple de raconter une arrivée aux Etats-Unis. Il faut éviter les clichés et images d'Epinal et essayer de trouver ce qu'il y a de différent ou de nouveau. C'est une expérience galvaudée et fantasmée à souhait, et celà, par les plus grands auteurs comme par les plus banals bloggeurs. Je m'y tente quand même avec quelques impressions.

Arriver aux Etrats-Unis pour vivre à New York, c'est tout d'abord redevenir un nouveau né. Il faut repasser en accéléré par tous les processus administratifs possibles et imaginables, et Dieu sait qu'ils sont nombreux aux Etats-Unis. Entre le visa qui vous déshabille toute une vie, une session à la sécurité sociale, une crise avec la banque qui vous fait plus de misères pour un chéquier qu'à un gangster sorti de prison et la nécessité absurde de repasser son permis de conduire, il nous arrive de nous demander ce que nous faisons là, perdus dans une Amérique aux apparences hostiles aux étrangers, où on nous qualifie de titres mystérieux comme celui guère flatteur de "lawful alien". Ce qui me console, c'est que tant d'autres sont passés par là, d'Ellis Island à JFK et qu'ils semblent tous heureux de faire partie de cet Empire. Et on le dit parfois, New York est une Rome moderne où se déversent les peuples venus d'ailleurs, certains deviennent citoyens, prospèrent et épousent l'Amérique, d'autres repartent, expulsés, ignorés, incapables de faire fortune et s'intégrer. 

7.1.13

Adieu au père

Il est né en plein été 1939. Mais bien loin de l'agitation d'Europe centrale, là-haut dans cette belle montagne libanaise, en cette vieille maison en pierre où mes grands-parents fuyaient les chaleurs de la côte. Cette maison enserrée de pins parasol, au bout d'un long escalier, juste entre les versants encore verts et les sommets dolomitiques du Liban, je ne la vis jamais, évaporée avec tant de souvenirs d'enfance de mon père. Je ne l'aperçus que dans de vieilles photos noir et blanc où le fils tant attendu trônait paisiblement sur un cheval à bascule, entouré de ses soeurs et de ses cousins.
C'était un Liban insouciant, tranquille sous le mandat français, encore épargné par les troubles politiques et religieux qui devaient bien vite s'en emparer.

Contrairement à mon grand-père qui avait du partir et faire fortune en Argentine, loin de l'Empire Ottoman et de sa déchéance, papa eut la chance de connaître le meilleur du Liban, les années où le pays prospéra dans une torpeur trompeuse. Il perdit son père assez tôt. J'étais encore enfant quand il me raconta un jour comment, ce triste été, mon grand-père souffrant l'envoya chercher un barbier. En revenant avec ce dernier, mon père découvrit le vieil homme mort dans son lit. Il avait approché un petit miroir de la bouche du défunt pour pouvoir constater l'absence de buée et donc de respiration. Enfant, ce stratagème m'avait ému, je trouvai mon père bien perspicace et si courageux d'approcher un mort ou le toucher. C'était sans me douter que trente ans plus tard, je serai moi-même le dernier homme à le toucher dans son cercueil, au coeur d'une église en deuil.

Je ne suis pas sûr de vouloir disserter sur son existence, de creuser le pourquoi du comment, pourquoi ce jeune premier beau et rieur à qui tout semblait sourire buta ça et là sur les obstacles de la vie. Il aimait la vie, certes. Parfois beaucoup trop. Il aimait oublier tout et s'envoler vers ses rêves. Au point parfois de se brûler les ailes. J'ai envie d'évoquer les études en Suisse avec son bon ami Pierre, leurs quatre-cents coups et leurs mille photos, sans oublier sa rencontre avec Gilbert Bécaud... Je revois défiler aussi les pistes de ski à Faraya, le vieux copain de toujours Michel et son sourire inoubliable, les vieux coupés Alfa Roméo ou les plages de Saint Simon et les criques poissonneuses d'Amchit où papa croquait la vie à pleines dents. Moins forte est l'envie de se rappeler les bouleversements, la guerre, les méfaits du tabac, les problèmes de santé et toutes les vicissitudes qui ont eu raison de son insouciance. Je préfère tout simplement le remercier de cette famille qu'il fonda avec ma mère et qui traversa ces décennies de guerre puis de paix, saine et sauve. Je préfère méditer sur cette belle photo de lui avec Eddy, un de ses vieux copains, qui nous l'apporta lui-meme le jour des funérailles. On le voit, à droite, ce sourire d'un homme qui aimait la vie.