26.10.24

Mohammad Farhat est tombé / Major Farhat is dead




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IN FRENCH

Ce matin je me réveille et ouvre avec d’appréhension comme tous les jours les nouvelles du matin. 


J’apprends la mort de trois soldats de l’armée libanaise sous le feu déchaîné de l’ennemi. Pourtant, l’armée libanaise n’a pas pris part aux combats de cette guerre décidée par les autres pour le Liban, et à ses dépens comme d’habitude. 


J’ai trouvé leurs trois visages dans un post sur X. Ils auraient dû faire la une de nos journaux. Pourquoi sont ils morts? Quels êtres chers ont ils laissé? Ils s’étaient enrôlés pour servir notre drapeau, si beau et si fragile. Et ils ont été  abandonnés par un gouvernement faible et sclérosé, un président qu’on n’élit pas, un parlement pris en otage par les partis confessionnels, l’Iran et ses sbires.


Mohammed Farhat, Mohammad Nazzal et Moussa Mahna étaient nos héros. Ils essayaient de faire leur devoir à la frontière sud, montrer que cette terre nous appartient et que le Liban voudrait la contrôler. Farhat s’était distingué pour avoir tenu tête seul aux soldats israéliens qui tentaient de modifier la ligne bleue. Hommage à lui et à ses compagnons. Et aussi à leurs proches dont la douleur est celle de toute une nation.  Nous leur devons le très peu qu’il nous reste, dans ce pays en lambeaux.


Puisse cette tragédie  nous réveiller tous! Si des élections venaient à avoir lieu, quand vous serez tentés de glisser encore une fois votre voix pour élire un leader milicien ou un parti religieux, quand vous choisirez le raidissement sectaire, par peur ou habitude, rappelez vous que c’est le vote confessionnel qui tue notre armée, c’est  cette maladie de la division qui nous a pris notre Mohammad Farhat. 




IN ENGLISH 

In the  morning I wake up and open the news with apprehension, as I do every day.

I learn of the death of three soldiers of the Lebanese army under the unleashed fire of the enemy. However, the Lebanese army did not take part in the fighting of this war decided by others for Lebanon, and at its expense as usual.

I found their three faces in a post on X. They should have made the front page of our newspapers. Why did they die? What loved ones did they leave behind? They had enlisted to serve our flag, so beautiful and so fragile. And they were abandoned by a weak and sclerotic government, a president who is not elected, a parliament taken hostage by the confessional parties, Iran and its henchmen.

Mohammed Farhat, Mohammad Nazzal and Moussa Mahna were our heroes. They were trying to do their duty on the southern border, to show that this land belongs to us and that Lebanon would like to control it. Farhat distinguished himself by standing alone against the Israeli soldiers who were trying to change the blue line. Tribute to him and his companions. And also to their loved ones whose pain is that of an entire nation. We owe them the very little we have left, in this country in tatters.

May this tragedy wake us all up! If elections were to take place, when you are tempted to slip your vote once again to elect a militia leader or a religious party, when you choose sectarian hardening, out of fear or habit, remember that it is the confessional vote that is killing our army, it is this disease of division that took our Mohammad Farhat from us.

21.10.24

17 octobre: la question reste la même 🇱🇧



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IN FRENCH 

Entre l’abomination israélienne et l’obscurantisme nihiliste de ses opposants, nous voilà, plus que jamais, entre le marteau et l’enclume. 

Malgré sa faiblesse militaire, il fut un temps où le Liban avait  pu résister à la malédiction israélienne, par son ouverture sur le monde, son succès à protéger sa population juive (et même l’augmenter dans les années 50-60), sa capacité à mobiliser la scène internationale en tant que membre fondateur de l’ONU et de la ligue arabe, sa capacité à construire un pays relativement prospère malgré ses divisions religieuses patentes.  Il aurait pu être aux côtés de l’Afrique du Sud à la cour pénale internationale. En donnant des droits identiques à ses citoyens de toutes religions (mis à part son carcan politique), c’était un pays message en opposition cinglante à un État qui privilégie les Juifs du monde entier aux indigènes non -Juifs qu’il occupe et asservit. 

Tout cela est parti en fumée depuis belle lurette. Nous sommes devenus depuis 1969, un État fantôme, où n’importe quel caïd aguerri peut humilier la République, et où n’importe quel turban ou tiare sont davantage écoutés que la voix de l’autorité sensée protéger le pays.

Ce chaos de divisions et de corruption est devenu notre quotidien depuis plus de 50 ans. Aux guéguerres miliciennes, aux agressions israéliennes et aux diktats syriens ont succédé les rixes mafieuses et influences Iraniennes. Et notre beau petit pays continue à se consumer de l’intérieur.

Aujourd’hui, nos enfants sont brûlés, nos souks, églises et mosquées anéantis sans qu’on puisse crier gare. Le pouvoir n’est plus là depuis longtemps. On l’a abandonné tour à tour à l’OLP puis à Israël puis à la Syrie puis à l’Iran et voilà le résultat, des gens divisés dans un champ de ruine fumant, des villages où on voudrait pouvoir accueillir l’autre mais où on craint le bombardement  de l’ennemi, des quartiers ou même la charité et la bienveillance sont devenues danger de mort. 

En cet anniversaire du 17 octobre, date à laquelle on avait voulu croire à un changement, la question demeure la même : Quand nous réveillerons nous de cette torpeur et rejetterons ces leaders confessionnels qui nous ont conduit à l’échafaud?

IN ENGLISH

October 17: The question remains the same 🇱🇧

Between the Israeli abomination and the nihilistic obscurantism of its opponents, here we are, more than ever, between a rock and a hard place.

Despite its military weakness, there was a time when Lebanon was able to resist the Israeli curse, through its openness to the world, its success in protecting its Jewish population (and even increasing it in the 1950s and 1960s), its ability to mobilize the international scene as a founding member of the UN and the Arab League, its ability to build a relatively prosperous country despite its obvious religious divisions. It could have been alongside South Africa at the International Criminal Court. By giving equal rights to its citizens of all religions (apart from its political mesdiness), it was a Symbolic country in scathing opposition to a state that privileges Jews around the world over the non-Jewish natives it occupies and alienates.

All this has gone up in smoke for a long time. Since 1969, we have become a ghost state, where any seasoned thug can humiliate the Republic, and where any turban or tiara is listened to more than the voice of the authority supposed to protect the country. 

This chaos of divisions and corruption has become our daily life for more than 50 years. Militia wars, Israeli aggressions and Syrian diktats have been followed by mafia brawls and Iranian influences. And our beautiful little country continues to burn itself from the inside. 

Today, our children are killed, our souks, churches and mosques destroyed without warning. The government has been absent for a long time. We abandoned it in turn to the PLO, then to Israel, then to Syria, then to Iran, and here is the result: people divided in a field of smoking ruins, villages where we would like to be able to welcome others but where we fear the bombing of the enemy, neighborhoods where even charity and benevolence have become mortal dangers.

On this anniversary of October 17, the date on which we had wanted to believe in a change, the question remains the same: When will we wake up from this torpor and reject these confessional leaders who led us to the scaffold?

8.10.24

Ce mal qui nous dévore


Cette guerre interminable entre Israël et ses voisins  est un grand mal chronique qui dure depuis plus de 75 ans et qui ne fait qu’augmenter en cruauté et en intensité. Quels que soient nos désaccords sur les origines de ce conflit, qu’elles soient coloniales et suprémacistes pour les uns, ou existentielles et bibliques pour les autres, aucun des protagonistes ne peut nier les horreurs innombrables qu’il a provoquées sur son chemin. 


Depuis le 7 octobre 2023, cette maladie grave faites de poussées et de rémissions provisoires est clairement passée à un nouveau stade beaucoup plus critique. Les crimes de guerre s’accumulent. La déshumanisation de l’autre est à son pic.  L’ampleur des pertes civiles est exponentielle. Et la passivité, mêlée d’incompétence ou de complicité, des grands de ce monde ressemble à celle d’un mauvais médecin qui nous tue par ses palabres et faux remèdes. 


Pour nous,les rares modérés qui résistent encore à la tentation de haïr l’autre, l’amertume est immense. Tout comme cette douleur de voir mon Liban natal à nouveau détruit par cette guerre sans fin. Mon pays est pris en tenaille entre un Iran obscurantiste qui l’utilise comme son kamikaze depuis 24 ans, et un Israël abominable, plus virulent et impérialiste que jamais. Nos compatriotes, devenus chair à canon, sont mutilés ou décimés par le rouleau compresseur, et nos villages et quartiers brûlés une fois de plus, sans aucun résultat, à part celui d’engendrer encore plus de haine et de rancoeur. A cette tristesse s’est rajouté le chagrin de voir nos frères palestiniens massacrés à Gaza par milliers.  Jamais de notre vivant n’avait-on assisté à une extermination aussi méthodique de toute une population et de son habitat.  Mais en cet anniversaire morbide, et quelles que soient mon dégoût et mon rejet de la politique et de l’idéologie israéliennes, je veux aussi  me souvenir de ces centaines de civils israéliens innocents massacrés par le Hamas il y a un an. Je veux penser à  ces familles endeuillées et à celles qui attendent encore leurs proches depuis  déjà douze mois. Je prie pour ces otages innocents qui croupissent sans espoir, abandonnés par leur gouvernement. Leur douleur est aussi la nôtre. 


Au risque d’en irriter certains, je voudrais qu’on éloigne de nous cette obligation de toujours comparer nos peines, ou de justifier les crimes de guerre quand ils nous arrangent. Qu’on  n’ait plus jamais peur de montrer de l’empathie, même envers un adversaire. Et qu’on trouve tous un jour le courage de ne pas laisser la rancune et la haine nous prendre indéfiniment en otage. Peut être et seulement alors, pourrions-nous guérir de ce grand mal qui nous dévore.



3.10.24

Le pays de l’amour

 THE COUNTRY OF LOVE OR MAHABBÉ


Arabic is the language of nuanced emotions. A single word describing an emotion in English or French is generally translated into a multitude of expressions in Arabic-speaking countries such as Lebanon.


For example, the English word “Love” can be translated as hobb (love with a capital L which includes seduction) but also mahabbé (love as an unconditional, pure and spiritual bond), an essential value in our Eastern culture.


At a time when our little Lebanon, so weak and divided, finds itself facing the Israeli Armageddon, while our villages are razed, our children killed and mutilated, we see the re-emergence of small buds of this Lebanese mahabbé, a fraternity and solidarity that we thought had been lost in our country.


The temptation to condemn Hezbollah and its sympathizers for this new irresponsible adventure is understandable. It is often boosted by the sectarian fears and mistrust that are so strong in our country. However, I have mostly seen NGOs resolutely hostile to Hezbollah offering housing to shelter refugee families. I admired this ex-phalangist comedian attracting the wrath of his audience by calling for love of one’s neighbor and forgiveness. I have heard doctors of all faiths, whose anti-Hezbollah obedience is beyond doubt, spend their nights removing fragments of pagers and crying because of the number of mutilated eyes they have seen.


Perhaps we should thank this corrupt and bloodthirsty monster that governs Israel for having involuntarily excavated from our depths the fragile but still living remains of this brotherly love. This “Mahabbé” that is part of our Levantine DNA had been neglected for too long when it should have been erected as a national value that unites us.


Finally, when the nightmare is over, let us hope that those who have chosen war and Iran over life and the State will reach out to their opponents instead of despising them. May the sectarian fears that have devoured us for too long finally recede. When we find ourselves face to face in our devastated Lebanon, let us hope that this “Mahabbé” remains and finally saves us from our lethal divisions.


LE PAYS DE L’AMOUR OU LA MAHABBÉ 


L’arabe est la langue des émotions tout en nuances. Un seul mot décrivant une émotion en anglais ou en français se traduit généralement en une multitude d’expressions dans des contrées arabophones comme le Liban.


Par exemple, le mot français amour peut se traduire par hobb (l’amour avec un grand A qui englobe l’amour charnel) mais également mahabbé (l’amour comme lien sans conditions, pur et spirituel), une valeur essentielle dans notre culture orientale.


En ces moments où notre petit Liban, si faible et divisé, se retrouve face à l’Armageddon israélien, alors que nos villages sont rasés, nos enfants tués et mutilés, on voit resurgir des petits bourgeons de cette mahabbé libanaise, une fraternité et une solidarité qu’on croyait perdues dans notre pays.


La tentation de condamner le Hezbollah et ses sympathisants pour cette nouvelle aventure irresponsable est pourtant compréhensible. Elle est souvent dopée par les peurs et méfiances sectaires si fortes dans notre pays. Néanmoins, j’ai surtout vu des ONG résolument hostiles au Hezbollah proposer des logements pour abriter des familles réfugiées. J’ai admiré ce comédien ex-phalangiste s’attirer les foudres de son audience en appelant à l’amour du prochain et au pardon. J’ai entendu des médecins de toutes confessions, dont l’obédience anti-Hezbollah ne fait aucun doute, passer leurs nuits à enlever des éclats de bipeurs et pleurer à cause du nombre d’yeux mutilés qu’ils ont vus.


Peut-être nous faut-il remercier ce monstre corrompu et assoiffé de violence qui gouverne Israël d’avoir involontairement excavé de nos profondeurs les restes fragiles mais encore vivants de cet amour fraternel. Cette mahabbé qui fait partie de notre ADN levantin a été trop longtemps négligée alors qu’elle aurait dû être érigée comme valeur nationale qui nous rassemble.


Enfin, quand les portes de cet enfer se refermeront, on espère que ceux qui ont choisi la guerre et l’Iran contre la vie et l’État tendront la main à leurs opposants au lieu de les mépriser. Que les peurs sectaires qui nous dévorent depuis trop longtemps puissent enfin reculer. Lorsque nous nous retrouverons face à face dans notre Liban terrassé, espérons que cette mahabbé demeure et qu’elle nous sauve enfin de nos divisions létales.