26.9.20

Lettre à un Beyrouthin

 (scroll down for English)

Cher ami, 



Ce combat pour protéger ta vieille maison, c’est un message contre l’obscurantisme et la culture de la mort qui gangrènent cette région.


Contrairement à ce que certains te font croire, ce combat n’est pas celui d’une communauté contre l’autre. C’est plutôt le combat qui dresse les élites cultivées et les bonnes âmes qui tiennent à protéger notre héritage contre la lie de notre nation, cupide et pétrie de violence, de fanatisme et de populisme. C’est le combat de la civilisation contre l’arriération (ou « takhallof »), entre la culture de la vie et de l’amour et puis celle de la mort et de la violence si puissante dans notre région. J’ai remarqué avec plaisir que les architectes et les ONG les plus dynamiques pour restorer ces belles maisons  sont justement multi-communautaires. Les donateurs de notre petits fonds « Save Beirut Old Houses »  sont aussi de tous bords. C’est une des plus belles consolations que de voir des prénoms aussi divers, chrétiens, musulmans, juifs ou sans religion, tous ensemble au chevet de notre culture en péril. 


Tu envisages d’émigrer, pour assurer un avenir à tes enfants. Je ne peux pas te le reprocher ou t’en dissuader, je serais bien mal placé pour le faire étant moi même à l’étranger depuis l’âge de 14 ans. Mais étrangement, en ces trente ans d’exil, je ne me suis jamais senti aussi Libanais, je n’ai jamais été, avec mes enfants, autant à l’écoute et à la rescousse de ce pauvre Liban. Je m’étais un peu fâché avec lui pendant toutes ces années, je ne le visitais que rarement juste pour voir ma famille. Tout en lui m’exaspérait, sa faillite morale, ses infrastructures nulles, son environnement ravagé, son urbanisme sauvage, son manque de civisme érigé en système, tout comme sa corruption chronique et affligeante. Mais maintenant qu’il est presque mort, terrassé par tous ses maux, ma tristesse est immense, je lui pardonne tout ou presque, j’accours à son chevet de grand malade, je le cajole comme un vieux grand-père centenaire qui n’en peut plus, on l’embrasse et on ne ne veut pas voir partir.... 


Courage mon cher Beyrouthin, ne cède pas aux sirènes de la haine religieuse, ce serait rendre les armes à ceux-là même que tu vomis. Donner raison aux chantres du communautarisme et de l’intolérance ou “ta3assob”, ils sont toujours prêts à en découdre et tuer. Et restons fiers de notre petite culture levantine même quand elle est si mal au point. Comme l’a si bien dit ce président français qui s’est entiché de nous: le Liban est un trésor pour l’humanité toute entière.


Letter to a Beirutee


Dear friend,


This fight to protect your old home is a message against obscurantism and the culture of death that plagues this region.


Contrary to what some people have you believe, this fight is not that of one community against another. Rather, it is the struggle between the cultured elites and good souls who are keen to protect our heritage against the scum of our nation, greedy and steeped in violence, fanaticism and populism. It is the fight of civilization against backwardness (or "takhallof"), between the culture of life and love and then that of death and violence so powerful in our region. I noticed with pleasure that the architects and the most dynamic NGOs to restore these beautiful houses are indeed from all communities. The donors of our small fund "Save Beirut Old Houses" are also from all sides. It is one of my most beautiful consolations to see first names so diverse, Christians, Muslims, Jews or without religion, all together at the bedside of our culture in peril.


You plan to emigrate, to ensure a future for your children. I cannot blame you or talk you out of it, I would be in a bad position to do so, having lived abroad myself since I was 14. But strangely, in these thirty years of exile, I have never felt so Lebanese, I have never been, with my children, so attentive and to the rescue of poor old Lebanon. I had gotten a little over this country all these years, rarely visited it and only to see my family. Everything about it exasperated me, it’s moral failure, it’s lame infrastructure, its ravaged environment, its horrible constructions, its lack of civic-mindedness erected into a system, just like its chronic and pathetic corruption. But now that this good old Lebanon is almost dead, overwhelmed by all its ills, my sadness is immense, I forgive all but everything, I run to its bedside, I cajole it as if it was an exhausted hundred-year-old grandfather, I hug this guy  and I do not want to see him go.


Courage my dear Beirutee, do not give in to the sirens of religious hatred, that would be a surrender the very people you despise, the champions of communitarianism and intolerance or "ta3assob", they are always ready to do battle and kill. And let us remain proud of our little Levantine culture even when it is in dismay. As this French president infatuated with us said so well: Lebanon is a treasure for the entire humanity.

3.9.20

Tristesse et réconfort

 Le Liban moderne dans ses frontières actuelles a cent ans. Et c’est un bien triste anniversaire. Mais dans l’immense douleur des dernières semaines à la suite de la destruction d’une grande partie de Beyrouth, on peut quand même trouver des bourgeons de  consolation et d’espoir. 

En effet, l’explosion a tout soufflé emportant beaucoup de ce qu’on aimait dans cette ville. Jeunes ou moins jeunes, des Beyrouthins innocents, aimés de leurs communautés sont morts. Les maisons anciennes si belles et qui donnaient un peu de cachet à notre forêt de béton ont péri. Puis comme un symbole de toutes ces pertes réunies, une noble vieille dame, Lady Cochrane Sursock est partie, blessée par l’explosion et peut être éreintée d’avoir vu le patrimoine qu’elle avait défendu toute sa vie bec et ongle, jeté en pâture à l’obscurantisme et son palais si beau complètement ravagé.

Nous ressentons aussi l’humiliation et la nausée de voir l’incompétence de tous nos dirigeants, les uns arrogants essayant de se dédouaner maladroitement d’avoir transformé le Liban en bande de Gaza, l’autre en déni total, dépassé par l’ampleur du désastre, prostré sur son trône devenu strapontin et puis les partis d’opposition aussi peu convaincants, sans programme, sans idées, sans espoir. On a les dirigeants qu’on mérite, nous rappelle-t-on et ça fait mal d’être tombé si bas.


La consolation, elle, vient des gens, ceux qui se sont vite mobilisés dans les rues pour ramasser les débris et aider. Cette société civile qui a saisi l’occasion de se surpasser malgré sa douleur et sa rancoeur pour donner une leçon à tous. La ville a été nettoyée par leurs mains, ces jeunes ne veulent pas renoncer, ils ont encore le courage, ils sont beaux et positifs et ils sont de toutes les appartenances: Il y a des jeunes filles voilées qui ramassent le verre dans des rues de ces quartiers en majorité chrétiens. Il y a des Ali, des Hussein tout comme des Charbel ou des Elie qui s’affairent dans ces vieilles rues dévastées. Il y a ces architectes bénévoles qui aiment toujours cette ville si ingrate et qui sont à son chevet comme des médecins zélés. Il y’a ceux qui réparent de leurs propre mains en maçons improvisés. La consolation vient de tout cela, elle vient des amis personnels devenus amis du Liban et qui ont contribué financièrement à mon petit fonds improvisé pour envoyer de quoi réparer quelques vieilles maisons le plus vite possible. C’est le plus beau réconfort que de pouvoir dire non à la barbarie, non à la culture de la mort et de faire une vraie différence sur place. 


C’est un peu le pari de M. Macron quand il est venu voir Fairouz notre diva si célèbre et planter un petit cèdre dans notre montagne. Ces deux gestes symboliques disent non à la mort de cette idée folle qu’est le Liban, ce pays impossible mais qui concentre en lui toutes les contradictions et les  utopies de notre planète.