Le soulèvement populaire au Liban a cela de magnifique qu’il transcende pour la première fois les éternelles divisions communautaires et unifie les Libanais contre l’incurie de leurs dirigeants. En revanche, si on sait bien ce que la population rejette en bloc (politiciens mafieux, corruption, division et communautarisme), il lui manque toujours des représentants et surtout une feuille de route précise: Quel est le Liban que nous voudrions construire si jamais tous les rêves de cette révolution étaient réalisés?
Nous sommes à l’heure où il est urgent de se débarrasser de l’éternelle malédiction d’Alfred Naccache, notre politicien funestement visionnaire aux temps de l’indépendance. Il n’avait jamais cru en notre jeune république: « Deux négations ne font pas une nation », nous dit-il en 1946, en faisant référence à la création du Liban moderne basé sur le « Ni Occidental ni Arabe » de nos pères fondateurs. Sa phrase cynique nous a hanté depuis des décennies. Tout au long de mon enfance dans un Beyrouth divisé, je me rappelle encore comme elle me faisait frémir et douter de mon pays dévasté par ses guerres.
Aujourd’hui, il nous faut donc trouver un projet commun pour construire le Liban de demain. Et voici juste quelques idées pèle-mêle qui me viennent à l’esprit:
1-République moderne et laïque
Construire une république laïque démocratique respectueuse des droits de l’homme, où tous les citoyens sont égaux devant la loi, où les religions sont respectées mais reléguées à leurs temples et où l’état civil ne sera plus lié à aucune instance religieuse.
Un pays qui se distinguerait donc de tous les autres au Moyen-Orient parce que les droits des hommes et des femmes y sont les mêmes quelles que soient leurs croyances, leurs orientations ou leurs origines ethniques: Registres de naissance, mariage, lois d’héritage et divorces ne dépendront plus des autorités religieuses mais de l’Etat.
Une protection constitutionnelle très stricte de la laïcité, de la liberté religieuse et d’un mode de vie affranchi des règles d’une religion ou de l’autre: cette protection est essentielle si on veut se débarrasser du communautarisme une fois pour toutes. les Libanais auront besoin de lire dans leur constitution qu’aucun dogme, loi religieuse ou fanatisme ne pourront jamais être imposés au Liban.
2-Un système économique assaini et autosuffisant
Établir et promouvoir le Liban comme le centre culturel et démocratique du Moyen-Orient et y développer l’éducation, le tourisme haut de gamme, les festivals, l’entreprenariat digital et le système hospitalier pour améliorer notre balance des paiements et ne plus dépendre de subventions extérieures politisées et toxiques.
Ré développer l’agriculture haut de gamme.
Ouvrir le Liban à davantage de partenaires internationaux pour équilibrer le poids et les influences de toutes les puissances. Construire par exemple un partenariat entre le Liban et la Chine qui est riche en capitaux et pourrait investir dans le pays si les conditions étaient réunies, dans le respect de l’indépendance du pays.
Développer des infrastructures haut-de-gamme tenues par le secteur privé pour éviter la corruption, notamment dans des secteurs stratégiques comme les transports publics et les énergies renouvelables.
Endiguer la corruption avec des institutions juridiques fortes et indépendantes.
Défendre strictement le patrimoine du pays avec des lois d’urgence sur l’urbanisme et la protection de l’environnement: Restaurer la souveraineté du peuple sur le littoral et les plages, arrêter les carrières qui défigurent la montagne, nettoyer le pays, assainir ses eaux, protéger ce qu’il reste d’architecture traditionnelle, construire de manière civilisée, reboiser les montagnes... un programme titanesque mais primordial.
3-Des relations extérieures apaisées et tenues par l’Etat
Une neutralité stricte vis-à-vis de l’extérieur et un principe de non participation aux guerres d’autrui à l’extérieur des frontières libanaises.. Refuser d’utiliser le Liban comme plate-forme pour les querelles étrangères et protéger le pays des conflits internationaux par exemple entre Arabie Saoudite et Iran, ou entre Occident et Islam radical. Il est essentiel de couper l’incessante instrumentalisation de notre pays par l’étranger.
Rassurer la population et nos résidents palestiniens qu’on ne normalisera les relations avec Israël que si les droits des Palestiniens à l’autodétermination y sont reconnus.
Négocier fermement mais dans le respect des droits de l’homme un accueil des réfugiés récents qu’il est impossible d’intégrer étant donnée l’étroitesse du territoire et de ses ressources.
Naturaliser les descendants de réfugiés nés au Liban et y vivant depuis plus de 18 ans. Donner des droits à nos réfugiés palestiniens et leurs descendants qui ont croupi dans des camps depuis 1948.
Accueillir avec des quotas les ressortissants de pays de culture levantine persécutés pour leur religion ou opinion et qui ont l’éducation et les moyens d’investir dans l’économie libanaise.
Interdire aux partis politiques les subventions étrangères qui en font des marionettes au profit de l’étranger. Exit les interventions iraniennes, saoudiennes ou américaines soupçonnées. Si ces pays veulent aider le Liban, leurs dollars seront les bienvenus mais dans les caisses de l’Etat et de la banque centrale,
Dissoudre toute milice et intégrer la branche militaire du Hezbollah dans l’armée libanaise en reconnaissant sa contribution à débarrasser le Liban de l’occupation israélienne mais la nécessité pour le Liban d’avoir une seule autorité civile et militaire pour le défendre et sa neutralité essentielle dans les conflits extérieurs.