24.11.19

Une feuille de route qui nous rassemble

Le soulèvement populaire au Liban a cela de magnifique qu’il transcende pour la première fois les éternelles divisions communautaires et unifie les Libanais contre l’incurie de leurs dirigeants. En revanche, si on sait bien ce que la population rejette en bloc (politiciens mafieux, corruption, division et communautarisme), il lui manque toujours des représentants et surtout une feuille de route précise: Quel est le Liban que nous voudrions construire si jamais tous les rêves de cette révolution étaient réalisés?

Nous sommes à l’heure où il est urgent de se débarrasser de l’éternelle malédiction d’Alfred Naccache, notre politicien funestement visionnaire aux temps de l’indépendance. Il n’avait jamais cru en notre jeune république: « Deux négations ne font pas une nation », nous dit-il en 1946, en faisant référence à la création du Liban moderne basé sur le « Ni Occidental ni Arabe » de nos pères fondateurs. Sa phrase cynique nous a hanté depuis des décennies. Tout au long de mon enfance dans un Beyrouth divisé, je me rappelle encore comme elle me faisait frémir et douter de mon pays dévasté par ses guerres. 

Aujourd’hui, il nous faut donc trouver un projet commun pour construire le Liban de demain. Et voici juste quelques idées pèle-mêle qui me viennent à l’esprit:

1-République moderne et laïque

Construire une république laïque démocratique respectueuse des droits de l’homme, où tous les citoyens sont égaux devant la loi, où les religions sont respectées mais reléguées à leurs temples et où l’état civil ne sera plus lié à aucune instance religieuse.

Un pays qui se distinguerait donc de tous les autres au Moyen-Orient parce que les droits des hommes et des femmes y sont les mêmes quelles que soient leurs croyances, leurs orientations ou leurs origines ethniques: Registres de naissance, mariage, lois d’héritage et divorces ne dépendront plus des autorités religieuses mais de l’Etat.

Une protection constitutionnelle très stricte de la laïcité, de la liberté religieuse et d’un mode de vie affranchi des règles d’une religion ou de l’autre: cette protection est essentielle si on veut se débarrasser du communautarisme une fois pour toutes. les Libanais auront besoin de lire dans leur constitution qu’aucun dogme, loi religieuse ou fanatisme ne pourront jamais être imposés au Liban.

2-Un système économique assaini et autosuffisant 

Établir et promouvoir le Liban comme le centre culturel et démocratique du Moyen-Orient et y développer l’éducation, le tourisme haut de gamme, les festivals, l’entreprenariat digital et le système hospitalier pour améliorer notre balance des paiements et ne plus dépendre de subventions extérieures politisées et toxiques.

Ré développer l’agriculture haut de gamme.

Ouvrir le Liban à davantage de partenaires internationaux pour équilibrer le poids et les influences de toutes les puissances. Construire par exemple un partenariat entre le Liban et la Chine qui est riche en capitaux et pourrait investir dans le pays si les conditions étaient réunies, dans le respect de l’indépendance du pays. 

Développer des infrastructures haut-de-gamme tenues par le secteur privé pour éviter la corruption, notamment dans des secteurs stratégiques comme les transports publics et les énergies renouvelables. 

Endiguer la corruption avec des institutions juridiques fortes et indépendantes.

Défendre  strictement le patrimoine du pays avec des lois d’urgence sur l’urbanisme et la protection de l’environnement: Restaurer la souveraineté du peuple sur le littoral et les plages, arrêter les carrières qui défigurent la montagne, nettoyer le pays, assainir ses eaux, protéger ce qu’il reste d’architecture traditionnelle, construire de manière civilisée, reboiser les montagnes... un programme titanesque mais primordial.

3-Des relations extérieures apaisées et tenues par l’Etat  

Une neutralité stricte vis-à-vis de l’extérieur et un principe de non participation aux guerres d’autrui à l’extérieur des frontières libanaises..  Refuser d’utiliser le Liban comme plate-forme pour les querelles étrangères et protéger le pays des conflits internationaux par exemple entre Arabie Saoudite et Iran, ou entre Occident et Islam radical. Il est essentiel de couper l’incessante instrumentalisation de notre pays par l’étranger.

Rassurer la population et nos résidents palestiniens qu’on ne normalisera les relations avec Israël que si les droits des Palestiniens à l’autodétermination y sont reconnus.

Négocier fermement mais dans le respect des droits de l’homme un accueil des réfugiés récents qu’il est impossible d’intégrer étant donnée l’étroitesse du territoire et de ses ressources.
Naturaliser les descendants de réfugiés nés au Liban et y vivant depuis plus de 18 ans. Donner des droits à nos réfugiés palestiniens et leurs descendants qui ont croupi dans des camps depuis 1948.
Accueillir avec des quotas  les ressortissants de pays de culture levantine persécutés pour leur religion ou opinion et qui ont l’éducation et les moyens d’investir dans l’économie libanaise.
Interdire aux partis politiques les subventions étrangères qui en font des marionettes au profit de l’étranger. Exit les interventions iraniennes, saoudiennes ou américaines soupçonnées. Si ces pays veulent aider le Liban, leurs dollars seront les bienvenus mais dans les caisses de l’Etat et de la banque centrale,

Dissoudre toute milice et intégrer la branche militaire du Hezbollah dans l’armée libanaise en reconnaissant sa contribution à débarrasser le Liban de l’occupation israélienne mais la nécessité pour le Liban d’avoir une seule autorité civile et militaire pour le défendre et sa neutralité essentielle dans les conflits extérieurs.




2.11.19

Un nouveau système?

Nombreux sont les exemples de pays qui ne se sont mués en véritables démocraties qu’après des siècles de révolutions et de réformes.
Voici donc venu le temps pour le Liban de sortir de sa chrysalide confessionnelle et sectaire dans laquelle il se débat depuis 76 ans.
La nouvelle révolution libanaise a déjà enregistré un tout petit succès: la chute du gouvernement. La route est encore longue avant que l’essai ne soit transformé, mais, contrairenent ce que disent nos pessimistes et conspirationnistes, elle n’est pas impossible. 

Il faut d’abord que la raison l’emporte tardivement chez notre président octogénaire et qu’il accepte de nommer un gouvernement de technocrates  chargé d’organiser des élections anticipées. Il faut aussi que les députés acceptent la nouvelle donne et votent une loi électorale alors qu’ils risquent d’y perdre leurs sièges. Pas simple.
Après que la nouvelle chambre s’érige en assemblée constituante, il faudra enfin qu’on réussisse à instaurer un État laïc avec une constitution où ce sont les lois qui protègent toutes les communautés et non les anciens caïds. Où tous les citoyens et citoyennes ont les mêmes droits, les mêmes devoirs et les mêmes registres d’état civil. Un pays où on a le choix de se marier à la mairie si on le souhaite. Un pays où les femmes héritent les biens de la même manière que les hommes quelle que soit leur religion. Vaste programme? Utopie? Pas forcément.

Voici quelques idéees impensables il y’a quelques semaines et qui deviennent opportunes aujourd’hui:
  •  créer une chambre haute (sénat) qui accueillera les chefs des communautés religieuses mais les confinera à un rôle qui protège la liberté de culte et le mode de vie de chacun. Le cardinal, le métropolite les muftis et autres chefs religieux pourront enfin avoir un cadre pour nous combler de leur sagesse sans pour autant avoir le dernier mot, sauf peut être un veto en cas de  changements trop radicaux. De quoi rassurer par exemple les chrétiens de ne jamais se faire massacrer ou se retrouver en république islamique (une des peurs historiques qui a entériné le système confessionnel en 1943 et qui les hante toujours).
  • La nouvelle constitution devra protéger les libertés et la cohésion nationale de manière très stricte. Et pourchasser toute discrimination et tentative de division sur base sectaire qui devront être assimilée à de la haute trahison. Il s’agit là de décourager les démons du passé et inscrire l’unité nationale comme valeur patriotique.
  • Pour aider les religions à rester dans les temples, les discours politiques devront être dénués de toute notion sectaire ou religieuse. Eh oui! Avec un passé comme le nôtre il faudra peut être interdire tout parti politique ouvertement maronite chiite ou sunnite. 
  • Les religieux ne pourront s’exprimer sur des sujets politiques que dans l’enceinte du sénat. Adieu les sermons politisés du dimanche ou les appels à la lutte politique du vendredi. Plus au Liban ! La liberté d’expression ne pourra donc être totale au moins dans une première phase pour protéger la nouvelle république.
  • Le pouvoir exécutif devrait être redonné à la présidence de la république comme en 1943 mais cette fois avec une élection sans preconditions religieuses au suffrage universel à deux tours.  Pour éviter toute dérive dictatoriale, la chambre des députés et le sénat pourront destituer ce président en cas de crimes ou d’atteintes à la constitution à l’instar des États Unis. Deux mandats maximum de cinq ans et sans exception nous protégeront des potentiels tyrans.
  • Pour ceux qui en doutent, il faut évidemment que  la branche armée du Hezbollah soit intégrée dans l’armée libanaise.

Traitez nous de fous mais  n’oubliez pas que ce sont toujours les fous qui changent le monde!