16.2.11

Adieu à ma Grand-Mere

Elle est née en 1920, un peu comme le Liban, du moins dans ses frontieres actuelles.

Et elle incarnait tant de belles facettes de ce pays : l’image d’une jeunesse éclairée, une éducation cosmopolite et un renouveau levantin de l’entre deux guerres, à l’ombre du tranquille mandat français. La douceur de cet Orient encore beau et peu construit, de ce Beyrouth ou les toits en tuile rouge régnaient encore à l’ombre des montagnes vertes et des pins parasols.

La force d’une femme d’Orient qui n’a pas eu peur de prendre son destin entre les mains et faire fi des conventions pourtant si lourdes au Liban. Et malgré sa fougue et sa rébellion, par son charme et sa générosité, elle semblait faire l’unanimité dans sa famille et dans la société beyrouthine. Avec ses cinq frères et sœurs, je pense qu’elle n’a jamais connu l’ombre d’une dispute et jusqu'à la fin de ses jours elle leur a voué une affection profonde, admirable et indélébile. Au volant de sa Volkswagen coccinelle, elle était admirée, courue, gâtée dans un Liban qui savait encore vivre.

Plus tard, avec la guerre, elle incarnait pour moi la tolérance religieuse. J’étais enfant mais je me souviens comment elle disait que ce conflit était d’une grande stupidité. Que les dissensions religieuses et les haines communautaires étaient fausses, non fondées, usurpées. Alors que le monde sombre dans ses querelles de religion, je me dis qu'elle avait tellement raison. Et me tenant la main, profitant des accalmies et des ouvertures de la ligne de démarcation, elle me faisait visiter ces rues si bruyantes de Beyrouth-Ouest ou elle habita jusqu’au bout, entourée et chérie par ses commerçants et ses voisins musulmans qui, aux pires moments de la guerre, semblaient la protéger jalousement, comme s’ils aimaient encore davantage cette grande dame chrétienne qui avait choisi de ne pas les craindre et ne pas fuir.

Il faut dire que sa générosité était absolument totale. Cette volonté de faire plaisir, de donner, de régaler (non sans gourmandise!) en faisait une véritable grand-mère. Son arrivée chez nous signifiait pour ma sœur et moi, cadeaux, amour et indulgence ! Que de moments de bonheur d’enfant, passés à choisir des bandes dessinées, manger des crêpes au sirop d’érable ou déjeuner dans des restaurants. Que de fois, je me réfugiais dans ses bras pour échapper aux punitions et trouver le réconfort.

Puis elle a vieilli, elle a perdu ses soeurs, un frere et son fils beaucoup trop tot et à notre grand desespoir à tous. Puis elle a perdu cette force et cette confiance mais gardé sa bienveillance, son humour et son affection. Elle adorait ma femme et chérissait mes enfants. Encore en décembre, elle nous racontait ses croisières en Sardaigne dans les sixties et disait avec un petit sourire qu’elle était trop vieille, que c’était la fin. Puis elle est partie nous laissant juste ce magnifique souvenir et un de ces grands vides que rien ne saura vraiment combler.

6 commentaires:

  1. Alex, merci de ce beau temoignage et d'avoir raconté ta grand mère. Je t'embrasse bien fort. yaya

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  2. Je regrette en te lisant de ne pas l'avoir connu! Elle avait l'air aussi précieuse que ma grand mere, partie il y a un an. Quelle chance en meme temps, comme tu le racontes si bien, d'avoir pu grandir avec elle, d'avoir pu l'écouter, l'aimer. Gros baisers mon Alex. On pense bien à toi. yaya

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  3. riposa in pace bella nonna del libano. un abbraccio

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  4. Comme tout ce que tu as dit est vrai! Teta Yvonne, tu as laisse un grand vide. Zeina.

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  5. tu veux encore nous faire pleurer elle laisse un grand vide surtout ses questions quotidienne chou amline lyom qui m enervaient et qui me manquent aujourd hui je ne savais pas que perdre sa maman pouvait faire si mal. je t aime mon alecco bisous doris

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  6. Commme tu décris bien ta grand mère et comme tu sais nous faire aimer ce Liban, celui de la tolérance et du respect. Celui que j'ai tant aimé lors de mes deux voyages dans ce magnifique pays,où j'ai rencontré d'autres "Teta" qui devaient lui ressembler.J'imagine votre peine et je pense à vous très fort.Paulette

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