9.2.22

Le départ de Hariri : une chance.


Il y a deux façons de réagir au retrait de Saad Hariri de la vie politique.

La première, traditionnelle et débilitante, est bien sûr l’éternelle lecture confessionnelle: Y voir un « boycott sunnite » qui remettrait en cause la tenue ou légitimité des prochaines élections législatives. C’est la grave erreur que commettent souvent les médias et beaucoup de Libanais, celle qui consiste à accepter mécaniquement que certains accaparent la représentation d’une communauté, en dépit de toute logique. Ce n’est ni à Saad Hariri, ni au mufti, ni à l’ambassadeur saoudien et encore moins à un club autoproclamé d’anciens premiers ministres obsolètes de représenter ce qu’on appelle à tort la « rue Sunnite ».  Aucun n’a été élu directement ou exclusivement par cette communauté pour remplir ce rôle. A l’instar des zaïms des autres confessions, leur légitimité n’a pas plus de valeur que leur arrogance et leur attachement à la loi du plus fort, du plus riche ou du plus violent. 

La seconde lecture de ce départ Haririen, bien plus intéressante,  est d’y voir une opportunité. L’échec de Saad Hariri en politique est cuisant: Contrairement à son père qui -qu’on le veuille ou pas-  avait au moins une sorte de vision pour le Liban, Saad Hariri n’jamais eu aucune vraie conviction, peu d’options peut-être mais encore moins de flair ou de talent. Il a toujours été là comme par défaut et il n’a donc jamais su tenir le pays. Les chefs mafieux qui se délectaient jadis de la faiblesse de ce leader malgré lui, se désolent aujourd’hui de son départ. On leur souhaite tous, sans trop y croire, de vite lui emboîter le pas. 

Il est surtout urgent pour les partis issus de la Thawra de saisir cette opportunité pour présenter ensemble des candidats compétents, et remplir le vide que Hariri laisse avec ses alliés léthargiques. Trouver un programme socio-économique fort pour Tripoli, des idées d’avenir pour les Beyrouthins et un vrai projet de développement pour Saida, la Bekaa ou le Akkar… l’opportunité de remplacer la ploutocratie incompétente est bien là, devant vous. Saisissez-la vite avant qu’un nouveau mafieux ou usurpateur s’en empare et prétende représenter une communauté malgré elle.  Unissez-vous pour proposer des hommes et des femmes qui se mettent au service de toutes les « rues ». Vous êtes notre seul espoir.

17.11.21

Élections au Liban : quatre mois et trois urgences

Nous avons a priori une chance que des élections législatives se tiennent dans quatre mois au Liban.

La première urgence c’est de convaincre tout le monde d’aller voter. De grâce, arrêtons le fatalisme! Peu importent nos doutes sur l’intégrité du scrutin, qu’il y ait des morts qui votent, que des urnes soient bourrées ... Cela existe dans beaucoup de démocraties mais en réalité, c’est la participation qui compte vraiment. Plus les gens vont voter, moins la triche fonctionne bien. Plus les gens sont désabusés et restent chez eux, plus il est facile d’influencer les résultats avec des achats de voix ou autres manipulations dont nos zaïms sont des experts avertis. Votre cynisme fait le jeu de vos bourreaux depuis des décennies. Pour illustrer l’urgence de participer : En 2018 seulement 49 % des électeurs avaient voté au Liban et moins de 50 000 à l’étranger. Avec les résultats catastrophiques que l’on sait et un des leaderships politiques les plus incompétents de la planète. Après l’effondrement du pays, la faillite du système bancaire et l’explosion du 4 août, tous imputables à l’incurie de nos dirigeants, on peut espérer que bien plus de Libanais présents au Liban se déplaceront et rempliront leur devoir de citoyen en 2022. Et à l’étranger près de 200.000 Libanais de la diaspora se sont déjà inscrits ce qui représente près de 10% du corps électoral! Il y a un petit espoir. Saisissons le ensemble. 


La deuxième urgence peut-être encore plus importante c’est d’avoir des candidats d’avenir et des listes unifiées, une seule par circonscription. Cela veut dire qu’il est urgentissime pour les partis issus de la  révolution d’Octobre 2019 de créer une Union Sacrée derrière trois ou quatre leaders charismatiques et non sectaires qui ont une chance de faire rêver les Libanais. Et cela, au plus vite. Aucune élection ne peut être gagnée sans une dimension de rêve. Aucun siège de député ne peut être emporté face à la mafia au pouvoir sans un vrai projet crédible et positif. Rejeter la classe dirigeante est un bon début mais il ne suffira pas. il faut trouver et très rapidement un vrai programme et un slogan qui rassemble. Parler d’un Liban uni, tolérant, indépendant  et sans corruption ça serait déjà un début. 


La troisième urgence c’est d’exorciser les démons confessionnels que les mafias au pouvoir vont inévitablement réveiller. Pour cela, chaque Libanais doit faire un choix courageux. Refusez d’être manipulé par des zaïms confessionnels qui jouent sur la peur et la haine de l’autre pour rassembler leurs moutons. Rejetez la division à tout prix et n’oubliez jamais qu’elle nous a détruit, Rappelez aussi à nos patriarches, évêques et imams que leur rôle devrait être purement  spirituel et moral  (ils ont du pain sur la planche  d’ailleurs!), qu’ils cessent de se mêler, tous les vendredis et dimanches, de sujets politiques et qu’ils arrêtent leur collaboration indigne avec les partis au pouvoir. Pour vaincre les démons sectaires, mon humble conseil est aussi d’éviter au maximum tout parti confessionnel issu de la guerre civile et cela, même s’il s’en est  repenti. Composer avec eux nous affaiblit et désunit déjà et ne fait que réveiller le discours sectaire.


Quatre mois, trois urgences, Le Liban est à genoux. A nous tous de jouer.

31.10.21

Les faux-amis du Golfe


Il y a quelque chose de profondément insultant pour le peuple Libanais dans la crise diplomatique de cette semaine. Aucun pays respectable ne se ferait expulser des ambassadeurs, interdire des exportations et sanctionner brutalement juste à cause de propos d’un de ses ministres sur une chaîne de télévision, sachant que ces mots ont été prononcés avant même que ce ministre ne soit nommé. 


Bien sûr,  tout le monde sait que  les propos de ce ministre ne représentent aucunement une prise de position de l’Etat Libanais. le Liban est d’ailleurs incapable de prendre ce genre de postures, comme condamner des guerres au Yémen ou ailleurs tant il est paralysé par ses propres divisions et l’absence totale de leadership. Puis même si le peuple Libanais était uni pour condamner les actions de l’Arabie Saoudite au Yémen et que son gouvernement osait le faire, un pays soi-disant ami aurait juste rappelé son ambassadeur pour consultation, demandé des explications avant de sanctionner de façon sporadique et dans la condescendance la plus totale. 


Cette petit farce démontre selon moi deux choses : Les pays du Golfe ne sont pas les amis  bienveillants qu’on n’arrête pas de nous vanter depuis des lustres. Ils nous utilisent comme des pions ou des boules de billard dans leurs guerres contre l’Iran. Leur soutien au Liban n’a d’ailleurs jamais dépassé les bons mots et les pétrodollars saupoudrés à leurs pions corrompus. Après cet incident, qu’on arrête donc, de grâce, de me parler des pays arabes amis. Ils n’ont jamais bougé le petit doigt pour nous, et maintenant qu’on est au plus bas, ils n’hésitent pas à nous enfoncer encore davantage. Le plus pathétique est de voir leurs anciens esclaves libanais se réveiller pour les défendre, dans l’espoir d’une dernière petite rallonge financière. 


Le seul service que les pétro-monarchies nous rendent c’est peut être de nous montrer une fois de plus que la solution à notre indisposition se trouve bien à l’intérieur du Liban et non pas à l’étranger. Le salut réside en notre union derrière des leaders non-sectaires qui n’obéissent ni à l’Iran, ni à l’Arabie ni à l’Occident mais qui savent discuter et composer avec tous, dans l’intérêt du Liban. De tels leaders seront les seuls à même de rétablir l’état de droit et un semblant de respect à l’international. À bon entendeur...

17.10.21

Tragédie confessionnelle

 Comme dans les tragédies grecques, il y a l’unité de lieu, de temps et d’action.

Le lieu est chargé de symboles et de fiel. Ces faubourgs sont l’endroit où un funeste autobus palestinien canardé par des miliciens en 1975 déclencha la guerre civile et détruisit le Liban. Chaque Libanais a son souvenir et ses blessures dans ces quartiers. Moi-même ai failli y laisser ma vie en traversant cette ligne de démarcation sous les tirs en 1989 pour me rendre en France. Revoir ces rues en guerre nous fait donc tous frissonner. Le temps est l’espace de quelques heures, courtes mais suffisantes pour réveiller les bons vieux démons confessionnels et s’assurer que la détestation d’autrui, la déshumanisation d’un concitoyen juste à cause de sa religion présumée, sont toujours aussi tenaces. L’action est parfaitement menée, un parti qui se croit au dessus des lois essaye d’intimider la justice, un autre qui saisit l’opportunité pour montrer lâchement ses petits muscles avec des franc-tireurs embusqués, puis la riposte ridicule et disproportionnée des miliciens ineptes canardant des immeubles vides comme pour libérer leur testostérone.
À tous ceux qui ont y vu autre chose qu’une mascarade, je leur dis qu’ils sont dupes du jeu des seigneurs de la guerre en mal de popularité. Je dis aux chrétiens dont l’inconscient craintif s’est rassuré que l’Iran ne pouvait pas envoyer ses sbires impunément dans leurs quartiers qu’ils se trompent amèrement, et que tirer sur ses concitoyens est un crime sans excuse. Qu’il n’y avait rien de légitime ou d’héroïque dans ce que ces francs tireurs “chrétiens” ont fait. Je n’y vois que de la provocation, du meurtre, de la lâcheté. Je dis aussi aux autres que leur arrogance et dogmatisme nous entraînent dans cette dialectique. Que leur confessionalisme et leur utilisation toxique de la religion réveille les pires peurs et démons. Que leurs intimidations et gesticulations contre un simple juge démontrent leur faillite morale.
Puis j’invite enfin tout le monde à regarder la liste des victimes, et pleurer avec moi tous ces jeunes q’ils aient pris des armes ou pas. Ils sont morts pour rien si ce n’est défendre un député corrompu ou protéger un quartier d’une menace inexistante. Quelles qu’eussent été leurs motivations, qu’ils s’appellent Hassan, Hussein, Mohammed, Elie, Georges ou François ils sont tombés bêtement sur l’autel de ce Liban divisé. Une fois de plus, la vraie guerre n’est pas entre chrétiens et musulmans, elle est entre ceux qui veulent la peur et la sédition pour dominer et s’enrichir et les autres, cette majorité trop silencieuse qui n’en peut plus de ces caïds sectaires.Ce nouveau Liban balbutiant aura-t-il enfin le courage de se réveiller ?

4.9.21

La fin du système confessionnel

Comment retrouver l’espoir pour le Liban? Ces dernières années m’ont appris que cette région ne s’améliorera que lorsque nous y trouverons le courage de ranger nos religions dans leurs temples. Et cela, parce qu’en Orient, nous sommes tous à la fois victimes consentantes et coupables de ce grand mal qu’on appelle le confessionalisme: Nous avons épousé nos religions depuis des siècles, comme on s’entiche d’équipes de football. Chaque confession a donné à ses membres quelques valeurs morales bien sûr (vite oubliées pour beaucoup) mais surtout des motifs de fierté, des sentiments d’identité, des sources d’inspiration ou des allégeances à des puissances étrangères. Ce faisant, elles ont systématiquement empêché une cohésion sociale et toute naissance d’un véritable sentiment national.

Les origines de ce mal proviennent paradoxalement de la relative tolérance de l’Islam envers les minorités religieuses monothéistes au Moyen Âge et notamment sous le règne Omeyyade (ce qui contrastait avec l’intolérance religieuse en Occident). Mais cette tolérance ne signifiait pas intégration. Elle encourageait la juxtaposition pacifique des communautés sans aucun souci de les mélanger ou les dépasser tant il était impensable que la chose publique soit dissociée de la religion dominante. Il y avait donc la religion d’Etat (généralement l’Islam sunnite) et les religions minoritaires dont les adeptes pouvaient vivre en paix et prospérer, mais avec un statut de citoyens de seconde catégorie, peu ou pas de poids politique, un impôt en plus mais aussi l’avantage de ne pas voir leurs fils enrôlés dans l’armée de l’empire et de vivre comme bon leur semblait. Cette situation avait permis le maintien et même le développement sans interruption de minorités dans le monde musulman, voire l’arrivée en Orient de minorités persécutées en Europe comme les Juifs d’Esoagne. Ces minorités se sont accommodées d’un État qui n’était pas vraiment le leur mais elles ont aussi constamment essayé de le remplacer. Ce système a donc enfanté involontairement d’un fléau, , la création de communautés confessionnelles qui jouent le rôle de mini-Etats dans l’Etat. On naît en Orient d’abord dans une communauté puis ensuite dans une ville ou un pays. Et si la solidarité intra-communautaire était salvatrice en temps de misère, famines ou persécutions, elle est vite devenue toxique en empêchant le développement d’ États modernes et unis.

Avec les crispations identitaires qui ont secoué le monde depuis la fin du XXème siècle, cette maladie chronique s’est aggravée et elle a plongé le Levant dans les ténèbres. Déjà les créations d’Etats basés sur les religions en Israël, en Iran, et avant cela, en Arabie, avaient rendu la région plus intolérante, voire explosive. Le pays le plus fragile, le Liban et ses dix huit confessions, implosait en 1975 avec des chrétiens convaincus qu’on cherchait à les chasser de leur pays et des musulmans persuadés que leur Etat n’était qu’un dominion de l’Ouest qui les spoliait et trahissait. Puis ce fut le tour de l’Irak où l’interventionnisme américain réveilla les pires démons confessionnels et cette fois entre Sunnites et Chiites. Et enfin bien sûr, la Syrie avec sa guerre sanglante entre pouvoir alaouite et opposition sunnite. En Orient aujourd’hui, Chrétiens, Juifs, Sunnites, Chiites, Druzes, Alsouites, Yazidis ou autres se sont retrouvés dans un tourbillon de tensions et de violence sans précédent depuis des siècles. Le résultat en est une région exsangue, dévastée par les guerres avec à peine quelques fragiles oasis de développement, encerclés par des étendues immenses de misère et de chaos. Le Liban est le parfait exemple du pays sacrifié sur l’autel des divisions communautaires. Incapable de se gouverner, il agonise.

Encore aujourd’hui, les peurs et théories de complot d’origine confessionnelle y restent virulentes. En arrivant à Beyrouth cet été, mon chauffeur de taxi pourtant bien sympathique m’en fournit une énième preuve. Je lui parlais des dégâts innombrables causés par l’explosion du 4 août et de la menace pesant sur le patrimoine architectural de la capitale. Il me répondit de but en blanc: « il paraît qu’ils cherchent même à islamiser nos quartiers ». Interloqué, je lui rétorquai un peu sèchement que ces bruits n’étaient sûrement pas fondés, que l’immeuble que nous avons aidé à restaurer n’a été justement secouru que par des ONG tenues par des concitoyens de confession musulmane et qui ont tout fait pour que les propriétaires (chrétiens) reviennent chez eux. Et que les promoteurs détruisant les immeubles anciens pour les remplacer par d’hideux gratte-ciel étaient en réalité de toutes les confessions.

Nous avons donc vraiment besoin d’une nouvelle laïcité en Orient et notamment au Liban. Pas la laïcité des dictateurs Arabes qui l’avaient transformée en outil d’oppression contre leurs peuples, ni celle des vieux partis Libanais prétendument progressistes qui, sous couvert de laïcité, cherchaient à accaparer le pouvoir, changer le destin du pays et en faire un dominion de l’Egypte ou de l’OLP ou empêcher les minorités de s’autodéterminer. Nous voulons une laïcité moderne et sur-mesure qui remette en cause la façon de vivre sclérosée qui sévit en Orient depuis trop longtemps. Cette omniprésence du religieux dans la sphère publique et dans les débats, cette utilisation maléfique de l’Islam pour mobiliser les foules sur des sujets non religieux et le terrible recroquevillement des minorités sur elles-mêmes, source de peurs, d’agressivité, de racisme ou d’exil.

La responsabilité pesant sur les épaules de nos nouveaux partis issus de la révolution d’octobre 2019 est par conséquent gigantesque. Il leur faudra convaincre les foules que les muftis et les imams doivent se concentrer sur les valeurs morales et cesser de se mêler de politique, il leur faudra également affirmer que ce n’est pas à un patriarche ni à un archevêque de déterminer le destin d’une nation, il leur faudra imposer des choses aussi taboues qu’un droit civil laïc où les gens peuvent se marier et divorcer, naître, mourir et hériter sans interventions obligatoires des religieux. Imposer par exemple qu’une femme sunnite hérite exactement de la même manière qu’une femme chiite ou chrétienne ou même athée (mot imprononçable en Orient!). Q’une Libanaise puisse donner sa nationalité à ses enfants même si leur père est étranger. Puis se tourner vers tous les chantiers qui comptent: les infrastructures, l’environnement, l’éducation... Arrêter cette obsession des armes et la fascination malsaine pour les martyrs. 

Ne vous ne méprenez pas. Ceci n’est pas un appel contre les religions. C’est plutôt un appel pour que les religions jouent en Orient le rôle qui leur est vraiment demandé. Prôner des valeurs morales, condamner la violence, encourager la tolérance et la solidarité, pousser les efforts d’alphabétisation et j’en passe. Les communautés musulmanes ont un devoir important dans l’instauration de cette nouvelle laïcité. Promouvoir la paix, revenir vers la beauté pure des textes et à l’Islam éclairé, intellectuel, tolérant et charitable, le seul qui ait jamais vraiment fonctionné et prospéré. Accepter que la religion au XXIème siècle doive relever d’un choix personnel et non pas d’un diktat. Pour les chrétiens, il s’agit de ranger leurs phobies et accepter pleinement leur ancrage en Orient. Arrêter de penser qu’il y a un complot pour les déraciner. Il s’agit en fin de compte d’apprendre à aimer ses concitoyens dans leurs différences, c’est aussi cela aimer son pays.