8.10.24

Ce mal qui nous dévore


Cette guerre interminable entre Israël et ses voisins  est un grand mal chronique qui dure depuis plus de 75 ans et qui ne fait qu’augmenter en cruauté et en intensité. Quels que soient nos désaccords sur les origines de ce conflit, qu’elles soient coloniales et suprémacistes pour les uns, ou existentielles et bibliques pour les autres, aucun des protagonistes ne peut nier les horreurs innombrables qu’il a provoquées sur son chemin. 


Depuis le 7 octobre 2023, cette maladie grave faites de poussées et de rémissions provisoires est clairement passée à un nouveau stade beaucoup plus critique. Les crimes de guerre s’accumulent. La déshumanisation de l’autre est à son pic.  L’ampleur des pertes civiles est exponentielle. Et la passivité, mêlée d’incompétence ou de complicité, des grands de ce monde ressemble à celle d’un mauvais médecin qui nous tue par ses palabres et faux remèdes. 


Pour nous,les rares modérés qui résistent encore à la tentation de haïr l’autre, l’amertume est immense. Tout comme cette douleur de voir mon Liban natal à nouveau détruit par cette guerre sans fin. Mon pays est pris en tenaille entre un Iran obscurantiste qui l’utilise comme son kamikaze depuis 24 ans, et un Israël abominable, plus virulent et impérialiste que jamais. Nos compatriotes, devenus chair à canon, sont mutilés ou décimés par le rouleau compresseur, et nos villages et quartiers brûlés une fois de plus, sans aucun résultat, à part celui d’engendrer encore plus de haine et de rancoeur. A cette tristesse s’est rajouté le chagrin de voir nos frères palestiniens massacrés à Gaza par milliers.  Jamais de notre vivant n’avait-on assisté à une extermination aussi méthodique de toute une population et de son habitat.  Mais en cet anniversaire morbide, et quelles que soient mon dégoût et mon rejet de la politique et de l’idéologie israéliennes, je veux aussi  me souvenir de ces centaines de civils israéliens innocents massacrés par le Hamas il y a un an. Je veux penser à  ces familles endeuillées et à celles qui attendent encore leurs proches depuis  déjà douze mois. Je prie pour ces otages innocents qui croupissent sans espoir, abandonnés par leur gouvernement. Leur douleur est aussi la nôtre. 


Au risque d’en irriter certains, je voudrais qu’on éloigne de nous cette obligation de toujours comparer nos peines, ou de justifier les crimes de guerre quand ils nous arrangent. Qu’on  n’ait plus jamais peur de montrer de l’empathie, même envers un adversaire. Et qu’on trouve tous un jour le courage de ne pas laisser la rancune et la haine nous prendre indéfiniment en otage. Peut être et seulement alors, pourrions-nous guérir de ce grand mal qui nous dévore.



3.10.24

Le pays de l’amour

 THE COUNTRY OF LOVE OR MAHABBÉ


Arabic is the language of nuanced emotions. A single word describing an emotion in English or French is generally translated into a multitude of expressions in Arabic-speaking countries such as Lebanon.


For example, the English word “Love” can be translated as hobb (love with a capital L which includes seduction) but also mahabbé (love as an unconditional, pure and spiritual bond), an essential value in our Eastern culture.


At a time when our little Lebanon, so weak and divided, finds itself facing the Israeli Armageddon, while our villages are razed, our children killed and mutilated, we see the re-emergence of small buds of this Lebanese mahabbé, a fraternity and solidarity that we thought had been lost in our country.


The temptation to condemn Hezbollah and its sympathizers for this new irresponsible adventure is understandable. It is often boosted by the sectarian fears and mistrust that are so strong in our country. However, I have mostly seen NGOs resolutely hostile to Hezbollah offering housing to shelter refugee families. I admired this ex-phalangist comedian attracting the wrath of his audience by calling for love of one’s neighbor and forgiveness. I have heard doctors of all faiths, whose anti-Hezbollah obedience is beyond doubt, spend their nights removing fragments of pagers and crying because of the number of mutilated eyes they have seen.


Perhaps we should thank this corrupt and bloodthirsty monster that governs Israel for having involuntarily excavated from our depths the fragile but still living remains of this brotherly love. This “Mahabbé” that is part of our Levantine DNA had been neglected for too long when it should have been erected as a national value that unites us.


Finally, when the nightmare is over, let us hope that those who have chosen war and Iran over life and the State will reach out to their opponents instead of despising them. May the sectarian fears that have devoured us for too long finally recede. When we find ourselves face to face in our devastated Lebanon, let us hope that this “Mahabbé” remains and finally saves us from our lethal divisions.


LE PAYS DE L’AMOUR OU LA MAHABBÉ 


L’arabe est la langue des émotions tout en nuances. Un seul mot décrivant une émotion en anglais ou en français se traduit généralement en une multitude d’expressions dans des contrées arabophones comme le Liban.


Par exemple, le mot français amour peut se traduire par hobb (l’amour avec un grand A qui englobe l’amour charnel) mais également mahabbé (l’amour comme lien sans conditions, pur et spirituel), une valeur essentielle dans notre culture orientale.


En ces moments où notre petit Liban, si faible et divisé, se retrouve face à l’Armageddon israélien, alors que nos villages sont rasés, nos enfants tués et mutilés, on voit resurgir des petits bourgeons de cette mahabbé libanaise, une fraternité et une solidarité qu’on croyait perdues dans notre pays.


La tentation de condamner le Hezbollah et ses sympathisants pour cette nouvelle aventure irresponsable est pourtant compréhensible. Elle est souvent dopée par les peurs et méfiances sectaires si fortes dans notre pays. Néanmoins, j’ai surtout vu des ONG résolument hostiles au Hezbollah proposer des logements pour abriter des familles réfugiées. J’ai admiré ce comédien ex-phalangiste s’attirer les foudres de son audience en appelant à l’amour du prochain et au pardon. J’ai entendu des médecins de toutes confessions, dont l’obédience anti-Hezbollah ne fait aucun doute, passer leurs nuits à enlever des éclats de bipeurs et pleurer à cause du nombre d’yeux mutilés qu’ils ont vus.


Peut-être nous faut-il remercier ce monstre corrompu et assoiffé de violence qui gouverne Israël d’avoir involontairement excavé de nos profondeurs les restes fragiles mais encore vivants de cet amour fraternel. Cette mahabbé qui fait partie de notre ADN levantin a été trop longtemps négligée alors qu’elle aurait dû être érigée comme valeur nationale qui nous rassemble.


Enfin, quand les portes de cet enfer se refermeront, on espère que ceux qui ont choisi la guerre et l’Iran contre la vie et l’État tendront la main à leurs opposants au lieu de les mépriser. Que les peurs sectaires qui nous dévorent depuis trop longtemps puissent enfin reculer. Lorsque nous nous retrouverons face à face dans notre Liban terrassé, espérons que cette mahabbé demeure et qu’elle nous sauve enfin de nos divisions létales.